L’école traditionnelle est une source d’études passionnante. Ayant très peu de connaissances sur les écoles traditionnelles d’autres régions du globe, je me contenterais donc ici de simplement citer les cas d’études auxquels j’ai été plus ou moins introduits, à savoir les écoles traditionnelles africaines. Elles constituent un environnement extrêmement organisé et codifié. L’ensemble des règles établies par celle-ci, cohérente sur l’entièreté du continent malgré ses diversités culturelles et ethniques, témoigne peut-être d’une origine commune de ces organisations.
Les écoles traditionnelles sont, en réalité, des sociétés d’initiation. Non satisfaites d’apprendre à l’enfant les bases d’éducation sur des sujets comme les diverses sciences, mathématiques, biologie, géométrie, histoire etc… Elle l’introduit à la compréhension du monde qui l’entoure en accédant à la lumière de la connaissance par le biais de la philosophie et de la cosmogonie. L’école traditionnelle se distingue principalement de l’école moderne par le fait qu’elle n’est pas marquée d’une fin brute. Elle est subdivisée en plusieurs étapes qui durent tout au long de la vie. L’Africain n’a donc pas, introduit dans son paradigme éducatif, le concept de fin d’étude. L’initiation se poursuit jusqu’à la mort physique des individus.
Chez les Peuls, le mot “Waaldé” désigne une association créée et auto-gérée par des jeunes, sous les conseils d’un président d’honneur, le mawdo, lui-même membre d’une association de personnes plus âgées et expérimentées. Ces jeunes miment au sein de leur organisation, la vie sociale adulte et apprennent à intégrer ses codes. À un certain moment de leur évolution, les waaldés des jeunes garçons sont amenés à s’unir avec une waaldé de jeunes filles et leur jurent protection et fidélité, une sorte de mariage avant l’heure. Ces jeux sociaux, loin d’en être réellement de par leur solennité, démontrent la puissante volonté de maintien du vivre ensemble dans ces communautés.
Marcel Griaule, éminent africaniste, affirmait que par la parodie, l’enfant est introduit aux attitudes et aux actes de la vie cultuelle. L’enterrement du chat chez l’enfant dogon imite parfaitement les funérailles humaines et prépare ainsi à la fois au culte des morts et au culte « totémique ». Le cadavre est porté dans un arbre creux. Pour l’enterrement d’une femelle, les garçons jouent du tambour, pour un mâle ils brandissent des javelots de mil. L’enfant de la maison où est mort le chat apporte de la bouillie de mil. Puis garçons et filles dansent au son des instruments.
Au Mali, les Bambaras et Soninkés et Malinkés poursuivent leur éducation au sein de groupes du même sexe et initiés selon les étapes de leur vie à plusieurs thématiques. On retrouve la même logique dans de nombreuses régions d’Afrique. Les enfants de l’ethnie chagga, un peuple bantu vivant en Tanzanie, grandissent en groupe avec d'autres enfants du même âge et du même sexe. Souvent, le groupe porte un nom qui semble courageux ou fier. Ils travaillent, jouent et vont à l'école ensemble. Lors d'une cérémonie d'initiation spéciale, ils deviennent tous adultes en même temps. Les prêtres Chagga exécutent cette cérémonie en costumes traditionnels, et parfois les visages des enfants sont peints. Après une grande fête, les enfants sont considérés comme des adultes. La même organisation peut être notée chez les Ndebele d’Afrique du Sud, les Amazigh du Haut Atlas ou encore les Samburu du Kenya.
Vous l’aurez compris, la principale préoccupation de l’école traditionnelle n’était pas de former l’enfant à un métier car bien souvent, celui-ci l’apprenait par filiation. En effet, le métier était une histoire de famille ou de clans, il ne s’agissait donc pas d’aller à l'école pour se former professionnellement mais davantage pour apprendre à vivre en société, connaître les règles de bienséance et interagir en communion avec les forces de la nature qui régissait l’environnement direct ainsi que le bon fonctionnement de l’individu.
Un des autres aspects de l’école traditionnel est le jeu, mais je reprendrai ici les termes de feu Amadou Hampâté Bâ qui affirmait “Tout est école, tout est enseignement, pour nous, rien n’est simplement récréatif”. L’enfant étudie donc son milieu naturel et se prépare à la vie adulte par le jeu, bien souvent en corrélation avec les éléments naturels. Dans les villages, les enfants modèlent parfois des figurines en argile ou autre matériel naturel qu’ils utilisent pour des jeux dans lesquels ils mettent en scène la relation entre l'homme et l’animal. Chez les Amazigh du Maroc, pendant la journée et le soir, les enfants passent beaucoup de temps libre ensemble et se groupent dans de petites sociétés enfantines basées sur les liens familiaux et amicaux, plus ou moins hiérarchisés suivant l’âge, ici encore nous pouvons voir un lien avec d'autres exemples précités.
Ces groupes jouent un rôle majeur dans le développement de l’enfant. Pour ne parler que de la fonction ludique, c'est dans la rue que l'enfant apprend la plupart des jeux, qu'il intègre les règles gérant les relations dans le groupe de jeu, qu'il apprend la culture, les relations garçons- filles etc… Ces jeux forment un espace privé extrêmement précieux pour les enfants et dans lesquels les parents n’interviennent que dans de très rares occasions.
“Il ne faut pas en dire plus pour comprendre que les connaissances et les expériences acquises dans la rue offrent une ressource dont toute action de développement et tout enseignement basé sur le principe qu’il faut respecter le milieu de vie et la culture de l'enfant et de son entourage doit tenir compte. Malheureusement il n'existe au Maroc que très peu d'informations sur la société enfantine de la rue, les groupes de jeu et les camarades d'âges.” nous affirme Jean Pierre Rossi, Chercheur en anthropologie socioculturelle du jeu chez les enfants nord-africains et amazighs.
Le conte joue également, et ce, tout au long de la vie un rôle prépondérant dans les sociétés traditionnelles. Notons que chez les Samburu du Kenya, traditionnellement les enfants étaient gardés par les grands-mères quand les parents étaient absents. Ces grands-mères jouaient avec les enfants et leur enseignaient des poèmes, chansons et autres contes. Ce système s'appelle lmwate, lmwate signifiant la clôture. Bien que ce système ait bien fonctionné pour des générations innombrables, il était tombé en désuétude principalement de par les transformations sociétales entraînées par la colonisation.
Après discussions dans la communauté il fut décidé de créer un lmwate moderne. Se basant sur les conseils des personnes âgées, des jouets furent fabriqués, des chansons, des contes, des proverbes et des poèmes collectionnés et des appareils de jeu construits. Ce cas de restitution d’une organisation traditionnelle montre que l’hybridation entre une école moderne et une forme d’apprentissage adaptée à la situation culturelle et géographique est possible. L’intégration de l’Imwate dans le système éducatif Kényan fut une véritable réussite et est soutenu par le Samburu Early Childhood Development Project, un projet commun du Kenya Institute of Education et le Christian Children's Fund.
Cet exemple ouvre des perspectives positives doubles dans l’avenir de l’éducation sur le continent africain. Il démontre qu’il est possible via le retour à certaines pratiques traditionnelles de sensibiliser à des causes associatives, environnementales et sociétales - toutes trois problématiques de grande actualité - tout en améliorant les conditions de conservation des cultures endémiques dans une éducation qui tend de plus en plus à l’universalisme.