C’est une grande toile au format horizontal. En avant de la composition une figure féminine seule, de dos, à la chevelure éclatante, semble faire irruption dans l’espace du tableau afin de nous faire pénétrer dans une forêt dense, aux arbres dénudés, dont la lumière froide et blafarde laisse deviner la profondeur.
« Inquiétante étrangeté » de ce paysage dont le regard se saisit avec une attention soutenue semblable à celle que requiert chaque plan d’un film de David Lynch.
La dimension énigmatique de la peinture de Natacha Ivanova se double d’une dimension cinématographique. Notre regard est à l’affut du moindre détail, du moindre signe, du moindre symbole sans qu’une narration ne parvienne à prendre forme.
Ce même dispositif formel fondé sur les propriétés spatiales de la toile, sur le jeu entre l’horizontalité et la verticalité est présent dans Dragon Hunter. Il vise à réduire la perspective en nous plaçant à l’avant de la composition, à la place de la figure de dos, à la place même de l’artiste, face à l’écran noir.
Dans Wonderland, se déploie un univers onirique peuplé d’animaux , oiseaux, cerfs, biches, papillons, chouettes mais aussi de petites figurines représentant des soldats, de signes, des flèches, des cercles…
Le rapprochement de ces éléments hétérogènes, leur juxtaposition font apparaître une réalité complexe et dérangeante dans laquelle on devine un drame sous-jacent.
La toile intitulée Dangerous sleeping partners est emblématique de cette complexité, celle même que permet l’exploration du subconscient dont Natacha Ivanova fait la composante de base de sa pratique artistique.
Ces éléments iconographiques font l’objet de reprises dans des compositions dans lesquelles l’artiste apparaît elle-même dans des rôles variés, tour à tour enfant, princesse, hôtesse de l’air, nurse, chevalier… ou nymphe endormie dans la toile intitulée Premonition construite sur un axe horizontal.
Le corps, telle une statue de marbre à la blancheur cadavérique, ne repose sur rien de stable si ce n’est sur des coulures de peinture ; pure surface lumineuse en lévitation sur fond d’un ciel nocturne dans lequel brille un astre. La présence de la couleur rouge au creux de la main suggère une menace.
Le traitement de l’espace pictural obéit au désir de Natacha Ivanova de créer un espace d’invention. Si le paysage de la forêt constitue l’espace emblématique de sa peinture, celui des songes, de l’imagination, des contes enfantins, du paradis perdu, c’est également le lieu de la métamorphose, du devenir végétal du corps tel que la mythologie grecque l’a pensé à travers la figure de Daphné dont les pieds et les mains deviennent racines et branches de laurier.
La grande précision que Natacha Ivanova apporte à la figuration, la virtuosité présente dans le travail de la matière picturale nous donnent accès au mystère même de la peinture, cela d’autant plus que le sens se dérobe durant notre incursion dans l’univers singulier de ses tableaux, qui, en nous adressant leur propre énigme, nous conduit à nous interroger sur notre propre relation au monde.
Née en 1975 à Saint-Pétersbourg, Natacha Ivanova a étudié aux Beaux-Arts de Paris dans l'atelier d'Alberola. Elle vit et travaille à Berlin.