Ils font des lignes magiques sur la terre que seuls eux peuvent voir. – Réponse d’un homme de Hupacasath aux premiers arpenteurs coloniaux délimitant les limites de sa réserve.
Sonny Assu s’intéresse à la notion de territoire depuis longtemps. Lorsque je lui demande d’où est né le projet Imaginary Lines, c’est par cette référence de la première nation Hupacasath qu’il me répond. La première nation Hupacasath est basée à Alberni Valley, sur la côte ouest de l’île de Vancouver. On en comprend le caractère historique et culturel de l’œuvre, mais on devinera aussi dans son travail son approche très personnelle.
L’aboutissement de cette œuvre est d’ailleurs le fruit de la même prémisse qu’un projet précédent, The Paradise Syndrome. Comme dans ce dernier, l’image des lignes ici inspirera l’artiste à créer des cartes dans ce projet complémentaire, d’où son appellation « Imaginary Lines ». Ce qui est particulier avec le travail de l’artiste, c’est justement ce va et vient entre différents projets et en contrecoup, cette navigation entre son passé personnel et sa pratique actuelle. D’ailleurs, les éléments de la carte, coupés à la main, font en fait référence à Speculator Boom, un autre de ses projets artistiques antérieurs.
En grandissant, la façon dont l’artiste se souvient avoir déconstruit ou détruit sa nostalgie personnelle a contribué à placer ses souvenirs proches de lui, en adéquation avec sa pratique artistique actuelle. Ces souvenirs sont très clairs dans son travail puisque les œuvres en question réfèrent justement à des cartes maritimes – et non topographiques – un renvoi à sa jeunesse, grandissant sur le bateau de pêche de son père. Héritier d’un ensemble de livres de navigation appartenant à son grand-père – livres qui sont souvent utilisés par les marins pour tracer leur parcours sur l’eau – il explore ces zones dans un objectif anthropologique, soit de dépouiller le récit de ce qu’il reste de ses ancêtres, pour lui de même que pour sa génération future, une sorte de conservation des restes de son territoire traditionnel.
C’est ce territoire d’origine qui est ainsi représenté dans son travail, par l’eau et la base terrestre affichées sur les cartes. Toute cette réflexion autour du territoire est intimement personnelle à l’artiste alors qu’il questionne le déplacement et la division des communautés autochtones sur le territoire canadien. Les peuples autochtones ayant vécu l’invasion sur leurs terres, ont ainsi été soumis au déplacement sur des territoires différents de leurs lieux traditionnels. Dans d’autres cas, ils ont été réduits à s’installer sur des terres représentant une fraction de leurs territoires traditionnels. Ici, l’exposition nous ouvre à une interrogation sur ces espaces, ces lieux dont les démarcations ont été redessinées pour ceux qui les occupaient pourtant en premier. Ici, la réflexion est basée sur nos positions contemporaines en lien avec ces délimitations, des frontières qui nous confrontent au passé colonial canadien.