Chez l’homme qui danse, prendre conscience de sa capacité à se mouvoir et du plaisir que le mouvement engendre mène à l’exaltation. Le champ de l’expression s’élargit alors et le désir de créer apparaît spontanément.
Cette remarque que Silvère Jarrosson place en exergue d’une série de tableaux intitulée Rythmes vitaux permet de mesurer le dialogue qui s’instaure avec le corps du danseur dans le déploiement du mouvement.
Le corps qui, traversé par des émotions, créé un espace d’expression. Parce que le mouvement est pensé comme tel au sein de cette expérience artistique, le corps et le geste créatif sont liés.
Dès lors, comment produire le mouvement dans cet espace immobile qu’est le tableau ? Comment créer un langage visuel qui parvienne à générer l’idée de mouvement ?
Il semble que pour Silvère Jarrosson (qui a dû abandonner la danse à la suite d’un accident) il n’y ait pas de scission entre l’univers de la danse et celui de la peinture, à condition que celle-ci prenne corps. Faire prendre corps à la peinture implique de mettre en œuvre un jeu entre ses éléments constitutifs de manière à souligner sa matérialité. Pour cela Silvère Jarrosson mobilise tous les moyens plastiques afin de créer de véritables « chorégraphies » dans lesquelles le geste et la couleur créent une dynamique interne dans l’espace inerte du tableau. La peinture devient ainsi capable d’engendrer, de générer des formes sous l’effet de la mise en mouvement de la matière picturale dont il expérimente la malléabilité afin de libérer le potentiel d’énergie qu’elle recèle.
Les titres donnés aux séries : Créatures, Rythmes vitaux, Fragments-organes, Figures, … traduisent son désir d’insuffler la vie dans ses toiles. Les formes, qu’elles appartiennent au registre de la biologie, de la physique, de la cosmologie, naissent du travail de la matière et de la couleur. On assiste dans l’espace du tableau à l’éclosion d’un monde dont est rendu visible un fragment d’un tout qu’on imagine d’une immensité infinie. Impression rendue par la saturation de l’espace, par l’emploi de l’acrylique et de pigments qui font de la surface picturale un véritable tissu vivant : tourbillons, explosions, enroulements, entrelacements de formes en mouvement amplifié par la densité et la richesse du chromatisme auquel Silvère Jarrosson confère fluidité et translucidité même lorsque les touches se superposent et s’épaississent jusqu’à former un relief. Tantôt l’espace se creuse et la peinture se fait palimpseste dans lequel le regard s’enfonce dans la profondeur du tableau, traverse les sources de lumière, se saisit de taches, de formes fossilisées, de veines semblables à celles du marbre. Tantôt, en l’absence de toute percée, la peinture semble franchir les limites du plan dans un mouvement de houle tel que Courbet et Hugo ont pu le représenter. Dans d’autres séries, les formes sont disséminées sur la surface du tableau dans une sorte d’éclosion spontanée dans un mouvement de gravitation.
« Bonne la forme comme mouvement, comme faire, bonne la forme en action ». Silvère Jarrosson pourrait faire sienne la conception de la forme exprimée par Paul Klee. Celle-ci préside à la réalisation de ses toiles dans un jeu d’entre-deux entre forme et informe. Un jeu d’interférences entre figuration et abstraction afin de configurer ce qui ne se laisse pas mettre en forme dans un univers en constante mutation où apparaît l’instabilité et la fragilité du vivant.
De la danse à la peinture, il n’y a qu’un pas ou plus exactement « un pas de deux » tant Silvère Jarrosson fait se croiser les deux disciplines artistiques.
Même élan de la pensée, même implication du corps dans l’instant de la création que Bergson qualifie « d’instant absolu ».
Silvère Jarrosson est né à Paris en 1993. Il entre à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris en 2003, à l’âge de 10 ans. En 2011, une grave blessure l’oblige à abandonner définitivement sa carrière de danseur. Malgré des séquelles physiques durables, il ne renonce pas à danser, différemment, et trouve dans la peinture un autre moyen de s’exprimer par le corps. Il développe alors un travail pictural guidé à la fois par des recherches techniques et un imaginaire porté par la danse et le mouvement.
« Fondamentalement, ma démarche est restée la même, qu’elle soit dansée ou peinte » explique-t-il. Son style, généralement assimilé à l’expressionnisme abstrait, évolue progressivement vers une approche plus radicale du mouvement et de son empreinte sur la toile. Danseur au devenir suspendu par le hasard d’une blessure, il donne à celui-ci une place fondamentale dans son processus de création, en faisant danser la toile même, pour la transforme en réceptacle de formes en devenir.
A partir de 2014, Silvère Jarrosson expose en France et à l’international. En 2018, il devient l’artiste résident de la Fondation Claude Monet. Il développe des projets scénographiques mêlant la danse à la peinture, et donne sa première performance à l’Académie des Beaux-Arts de Riga. En 2019, il mène un projet ponctuel en résidence à la ViIla Médicis dans le cadre du festival Villa Aperta. Il vit et travaille à Paris.