… les camions roulent plus vite sur les chantiers
et je ne trouve plus le sommeil
jusqu’au matin je pense à des choses
plus belles les unes que les autres(Nâzim Hikmet)
12 mars, en lisant le journal :
Le 16 mars, Rhizomes invite au cinéma le Club, Antoine Page le réalisateur du film C’est assez bien d’être fou et il y aura une expo chez Miettes de Baleine des travaux de Bilal Berreni. Je note : samedi 16 voir expo (avant 17h30 !) + film + faire une recherche pour article !
Samedi 16, matin :
Je découvre que je connais bien les graffs de Bilal Berreni aka Zoo Project ; Est parisien tu peux pas test… Je me souviens très vite du bélier recroquevillé sur un mur d’un terrain vague devenu potager, boulevard de la Villette, de cette fresque que j’avais baptisée Sodome et Gameboy sur le mur du point F, du « passe-moi le sel » des deux p’tits bonshommes assis l’un à côté de l’autre chacun devant un écran sur lequel j’ai si souvent bugué en prenant la ligne 2, de drôles d’oiseaux bodybuildés… Des créatures comme des esprits de la forêt à la Miyazaki façon jnoûns de la street qui te questionnent sur ton monde louche ; des copains de vadrouille dont la présence rassure quand on les retrouve.
Et puis je lis que la tournée est un hommage à Bilal, mort à Détroit en 2013. Je cherche la définition du mot « détroit » je lis : passage étroit entre deux montagnes, espace de mer étroit entre deux terres, moment de transition…
J’ai froid. Je retourne au site sur le projet du film, la bande-annonce est chouette avec leurs péripéties traduites en une très longue liste matérielle et une juxtaposition séquentielle rapide des images de leur épopée graphique. Le road-trip c’est un peu la grande évasion, la route infinie, la perte de repères pour s’en faire de nouveaux, les paysages qui se fondent les uns dans les autres. Là, le truc en plus c’est la complémentarité complice de deux passionnés qui partent à l’aventure au volant d’un camion des années 70, pendant 4 mois avec une pure démarche artistique, explorative et humaniste, depuis le Jura jusqu’à Vladivostok en passant par la Suisse, l’Autriche, la Slovaquie, la Pologne, l’Ukraine, la Russie, le Kazakhstan sur les traces de la Révolution russe. Dans l’idée de renouer avec l’art populaire, accessible à tous, ils racontent au travers de leurs médiums (le film et le dessin) l’histoire de ce voyage, prisme de tant d’autres histoires.
J’ai vraiment hâte de voir ça, je souris… : il fallait que ça passe là, au Club, à Douarnenez… ça aussi c’est déjà un peu fou.
Samedi 16, 16h30 :
Rendez-vous avec mon amie Violette devant la galerie associative Miettes de Baleine où se tient l’exposition éphémère de quelques pochoirs sur de grandes bâches de toile de jute représentant des personnages inspirés du film d’Eisenstein Le Cuirassé Potemkine, petite partie reprise de l’installation ahurissante créée et montée dans le cadre du film par Zoo Project et Antoine Page sur l’escalier Potemkine lors de leur passage à Odessa, ainsi que de nombreux travaux de Zoo Project réunis dans huit carnets dans lesquels on se plonge. Nous sommes nombreux dans ce petit espace, ça va, ça vient, ça échange et je me dis que comme moi tous ces travaux doivent avoir chaud ici.
Samedi, 18h :
C’est l’heure, Antoine Page est là, très avenant, il introduit brièvement le film, finit sur : « Ce qu’on a voulu montrer, c’est… oh, vous allez voir vous-même ! » avec un sourire, se retire et la salle plonge dans le noir.
…
Lumières. Le générique défile sur fond de mer du Japon avec un porte-containers qui s’éloigne de nous… Antoine Page revient, applaudissements dans la salle. Les questions du public commencent, nous choisissons de ne pas rester pour garder intacte l’expérience vécue.
Dehors il fait nuit, l’air, bien qu’assez frais est agréable. On se regarde avec Violette, les yeux brillants, sourires larges et on se remémore tout ce qui nous a plu : voir Bilal dessiner, esquisser, peindre tout, partout, tout le temps ; les passages narratifs dessinés pour illustrer les événements historiques, et ceux montés sur carton des longs trajets, en camion ou dans le Transsibérien ; cette nuit constellée d’étoiles au début du voyage ; l’installation dans les escaliers Potemkine ; l’humour et la fougue des deux compagnons de route ; la mélodie sifflée comme leitmotiv ; cette épave échouée dans la disparue mer d’Aral et l’équipage fantôme qui attend son retour ; la valse bouleversante des containers de Vladivostok…
Violette me dit : « J’ai hâte de voir ce que tu vas pouvoir en dire ! » Et moi je pense mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir écrire dans mon article à part : Allez voir ce film !