Relevant plus de la sculpture hyperréaliste américaine de la deuxième moitié du 20e siècle que des ready-made de Duchamp, les pièces de Zeke Moores reposent sur le détournement de ce qui, par l’activité humaine, est habituellement considéré comme sans valeur ou à jeter. Fort d’une expérience dans les domaines de la forgerie et de la fonderie, le sculpteur propose des œuvres réalisées à partir de procédés industriels, au nombre desquels l’on retrouve le moulage au sable et la fonte à la cire perdue. Reconnu sur la scène canadienne comme à l’international, l’artiste donne à voir autrement un ensemble de produits du quotidien voués à la consommation. Sont ainsi reproduites à l’échelle ou moulées dans de lourds matériaux bombonne de gaz propane, poubelle métallique, benne à ordure, boîte de carton, toilette portative ou couverture, notamment. Magnifiés, placés dans l’espace privé de la galerie d’art, ces objets sont ainsi dépourvus de leurs caractéristiques utilitaires ; leur cycle de vie semble enfin figé par le bronze ou l’aluminium renvoient au spectateur ou à la spectatrice l’image d’une société de consommation à interroger. Trop lourds et trop rigides, inutiles malgré l’apparence, ces corps disposés sciemment dans l’espace évoquent la nécessité criante du ralentissement de l’activité humaine et de la décroissance.
Après avoir présenté chez Art Mûr les expositions Useless (2013) et Wasted (2016), l’artiste poursuit, avec Les rejets, une exploration des limites de l’utilitarisme et de la fonction de l’art dans les sociétés occidentales contemporaines. Si l’exposition reprend quelques pièces emblématiques, dont cinq boîtes en bronze patiné, elle se distingue toutefois par l’omniprésence de ce qui ne se donne qu’en morceaux, incomplet, au détriment de sculptures figurant de larges objets (par exemple Port-o-Potty, 2011). La pièce Sans titre (Styrofoam) (2018), faite d’aluminium, est ainsi moulée sur deux morceaux ébréchés de panneau isolant, alors que l’imposant Sign (2013) rappelle un tableau d’affiche soutenu par une structure de bois. Ces deux dernières sculptures rendent bien compte de l’importance fondamentale de la texture dans le travail de Moores : les alvéoles du polystyrène, puis les marques de coupe et le fini reconnaissable du contre-plaqué sont reproduits avec une grande précision et créent un sentiment d’étrangeté tenant à l’inadéquation entre la reconnaissance d’un matériau original et la composition de l’œuvre d’art.
L’attention portée au fragmentaire est également observable dans les nouvelles propositions de l’artiste — Lids #1, #2, #3, #4 et #5 (2019) et Cinder Block #1 et #2 (2019). Couvercles sans poubelles et blocs destinés à la construction de bâtiments, ces pièces, coulées respectivement dans le bronze et l’aluminium, sont autant d’instantanés où l’usage et l’usure semblent paradoxalement suspendus pour laisser place à la noblesse d’un métal à la patine raffinée. L’installation Stack 1 (2018) est finalement la clé de voûte de l’ensemble puisqu’elle reprend certains éléments en appuyant, par sa verticalité et sa composition multiple, sur l’étrangeté des pièces données à voir. Constituée de moulages de bronze et en aluminium et représentant de façon encore hyperréaliste quatre boîtes de carton de différentes tailles, une bombonne de gaz propane, un bloc de ciment et un morceau de panneau isolant rose, Stack 1 fascine par l’improbable équilibre de ses éléments.