La galerie Michel Rein est heureuse de présenter la première exposition personnelle de Michele Ciacciofera. The Library of encoded time est le troisième volet d’une trilogie qui interroge le rapport des signes à la matière et à la mémoire. La première The translucent skin of the present, réalisée à la galerie Vitamin à Guanghzhou en 2018 a été suivie par A Chimerical museum of shifting shapes à la Voice Gallery de Marrakech.
Les œuvres créées pour cette exposition conçue comme un ensemble, où chaque pièce entre en résonance avec l’autre, sont issues d’une double réflexion sur l’érosion comme la saturation de la mémoire, ainsi que sur sa réactivation créative. Sculptures posées au sol ou sur des tablettes, grilles murales, bâtons reposant contre un mur, œuvres sur toile ou papier, apparaissent comme des objets archéologiques fantasmés, installés comme sur un véritable site, « édifié », à partir d’éléments locaux, tels les briques et les grilles. Comme dans ses installations précédentes réalisées à Marrakech et à Guanghzou, Ciacciofera utilise des sortes de tablettes recouvertes de signes, inspirées des tablettes cunéiformes et d’anciens alphabets non déchiffrés, des briques du territoire, de la « terre de France ». Dans un processus destiné à réactiver leur mémoire, il réalise une première cuisson qui « nettoie » le passé de l’objet et poursuit le travail de l’artisan qui l’a précédé avec des écritures réalisées grâce à des aiguilles issues de l’industrie pharmaceutique, des pigments et de l’eau, avant une seconde cuisson. Placées au sol, ces briques formant la bibliothèque intitulée The Library of encoded time, épousent un ordre spécifique comme dans un site archéologique dessinant une sorte de grille avec des pleins et des vides dans un rythme signalant également une « perte ».
Les grilles murales enserrées de fils, Janas Code (titre évoquant les domus de Janas1 néolithiques que l’on trouve en Sardaigne), où sont suspendus objets et sculptures, redoublent ce rythme de pleins et de creux, en écho aux briques. Elles sont réalisées avec des grilles de chantiers locaux servant à la construction, que Ciacciofera découpe et traite, pour lesquelles il dessine et réalise également des supports spécifiques afin de les distancier du mur tels des tableaux. Ornées de fils, dont certains chutent après une découpe délibérée, ces nouveaux « édifices » révèlent ainsi une certaine fragilité. Les sculptures en résine ou en céramique, parfois en forme de trilobites, les véritables fossiles ou les objets collectionnés suspendus par des fils aux grilles – selon une pratique obsessionnelle de l’artiste depuis sa jeunesse, collectionnant la céramique ancienne comme les manuscrits ou le mobilier – connectent ces œuvres à la recherche des universaux qui habitent l’artiste, au-delà du monde occidental. Cette tête néolithique issue d’Europe centrale ou encore cette tête Inca, relient ces grilles à une histoire allant de la Méditerranée à l’Amérique Latine en passant par l’Afrique. Les bâtons en terre, peins, incisés de signes, recouverts de pigments et de strates de gazes et tissus ; les têtes en céramique posées sur des tablettes, ou les œuvres sur toile et papier d’obédience figurative, se relient à un passé lointain où l’émergence du signe comme de la figure étaient empreints de rituels chamanistiques dont la nature mystérieuse autorise d’autant mieux aujourd’hui la réinvention par l’oeuvre. La peinture où apparaît un poisson (Holding the rod parallel to the water), rappelant les fossiles des grilles, a été réalisée selon le même principe de stratification que l’on trouve dans les bâtons, par l’adjonction en un lent processus durant deux cent jours consécutifs, de plusieurs couches de pigments mélangés à de l’eau, finissant par créer une calcification en surface.
Michele Ciacciofera s’intéresse dans cette exposition aux signes, notamment à caractère symbolique et à leur émergence à partir de l’époque néolithique, circ. 40 000/30 000 avant J.-C., de même qu’aux langues anciennes, dont certaines demeurent aujourd’hui indéchiffrables. Ces signes au sens perdu apparaissent pour lui comme des trous dans la mémoire, témoins d’un passé que l’on pense maîtriser grâce à sa muséification, parfois portée à l’excès. Parallèlement à cette perte, il part du constat paradoxal de la saturation actuelle de la mémoire. Or le plein du vécu du présent et la projection vers le futur nécessitent selon lui une actualisation continuelle du passé, postulat que confirment ses nombreuses lectures sur ce sujet de Kubler, Foucault (l’archéologie comme seule voie d’accès au présent) ou encore Agamben. L’archéologie apparaît enfin pour lui comme le point de conjonction de ses autres centres d’intérêt, de l’histoire à l’anthropologie en passant par les sciences politiques et sociales. Par ailleurs, son attention aux signes et au langage symbolique l’amène à observer combien les technologies actuelles, notamment l’usage des emojis avec les Smartphones, ne sont qu’une continuation de ce désir de langage symbolique ancré dans une exigence de communication humaine. Son rapport à la technologie s’inscrit moins dans une critique qui serait doublé d’un désir de retour au passé que dans une réactualisation du passé au présent, pour mieux décrypter et réinventer les universaux d’hier et aujourd’hui.