L’art et l’économie entretiennent des relations complexes et décisives depuis la plus haute Antiquité. Mais l’enjeu auquel nous sommes confrontés depuis plus d’un siècle est bien plus vaste que celui du marché de l’art, des collections ou des mécènes. Il y va, ni plus ni moins, de la marchandisation du visible en général.
Les photographies, dessins, peintures, vidéos, films, œuvres numériques et installations multimédia du « Supermarché des images » explorent la fabrique du grand marché des images qui structure notre regard. Elles mettent en exergue les matières premières qui composent ces images, les immenses stocks ou banques dans lesquelles elles s’accumulent, le travail humain (ou non humain) qui participe à leur création ainsi que les valeurs fluctuantes qu’elles acquièrent au cours de leurs circulations globalisées. Elles proposent des points de vue critiques et des perspectives inattendues sur les visibilités dont nous croyons disposer, comme en libre service, dans les rayons d’un supermarché imaginaire.
Nous habitons un monde de plus en plus saturé d’images. Leur nombre connaît une croissance tellement exponentielle — sur les réseaux sociaux, les écrans en tout genre — que l’espace dans lequel nous vivons déborde littéralement d’images, comme s’il n’était plus possible de les contenir, comme s’il n’y avait plus d’interstices entre elles. On s’approcherait ainsi de la limite que Walter Benjamin, en 1929 déjà, décrivait comme « un espace chargé à cent pour cent d’images ».
Face à un tel trop-plein, face à une telle surproduction d’images, se pose plus que jamais la question de leur stockage, de leur gestion, de leur circulation et de leur transport (fût-il électronique), de leur poids, de la fluidité ou de la viscosité de leurs échanges, de leurs valeurs fluctuantes — bref, la question de leur économie. Dans l’ouvrage qui a servi de point de départ au projet de cette exposition (Le Supermarché du visible, paru aux Éditions de Minuit en 2017), Peter Szendy propose de donner à la dimension économique de la vie des images le nom d’iconomie.
Les œuvres et les artistes choisis pour accompagner le visiteur dans son parcours posent un regard incisif et vigilant sur ces enjeux. D’une part, elles réfléchissent les bouleversements qui affectent aujourd’hui l’économie en général, qu’il s’agisse de stocks aux dimensions inouïes, de matières premières raréfiées, du travail et de ses mutations vers des formes immatérielles ou encore de la valeur et de ses nouvelles expressions, notamment sous forme de cryptomonnaies. Mais aussi, d’autre part, elles interrogent chaque fois le devenir des images et des visibilités à l’ère de leur iconomie globalisée.
Dans le supermarché qui s’expose ici, en somme, les images de l’économie parlent chaque fois de l’économie de l’image. Et vice-versa, comme si elles formaient un recto-verso.