Almine Rech Gallery est heureuse de présenter la deuxième exposition de Justin Adian à la galerie.
Ces dernières années, Justin Adian s’est employé activement à parfaire sa pratique. D’une peinture à l’autre, il travaille en fonction des résultats esthétiques qu’il y obtient. L’élaboration d’idées chez Adian émerge de son engagement physique à chaque étape de la réalisation de ses œuvres. Récemment, il a ainsi délaissé la flexibilité déstructurée de la mousse à la faveur du feutre, aux courbes toujours flottantes mais bien plus nettes.
L’usage qu’Adian fait du feutre souligne son intérêt pour Joseph Beuys, réputé pour l’utilisation de ce matériau. Plus précisément, il signale l’impact sur Adian d’un modèle spécifique de la peinture comme objet, exploré par les peintres processuels allemands issus de la classe de Beuys à la Kunstakademie de Düsseldorf dans les années 1960 tels que Blinky Palermo, Sigmar Polke et Imi Knoebel. Adian est fasciné par l’influence de Beuys — qui ne fut jamais peintre à proprement parler — sur une génération de peintres, ayant eu eux-mêmes à leur tour un impact important sur l’art contemporain, dont le travail d’Adian fait partie. Cette influence est particulièrement sensible dans la façon de concevoir l’accrochage des œuvres. Les peintures murales de Palermo, par exemple, se déployaient bien au-delà des multiples plans de son cadre architectural. De façon similaire, Adian aime positionner son travail dans les parties atypiques d’un espace, comme par exemple l’angle d’un mur, un endroit auquel il revient continuellement. Il dissout ainsi les frontières traditionnelles entre la peinture et la sculpture, une distinction également interrogée par les imposants volumes de ses panneaux.
Parmi les évolutions récentes de sa pratique, Adian dispose un panneau couvert d’une toile à l’arrière, prolongeant ainsi les limites de certaines formes en les accentuant. Cette technique découle de l’observation des bords et des dos peints de ses toiles formant un halo sur les murs qui les entourent. S’appropriant cet effet, il le concrétise désormais. L’apparence initiale d’un éclat produit par les tableaux se révèle être en fait leur silhouette, physique et colorée. Cette technique n’est pas sans lien avec les rétro-éclairages sur plexiglass novateurs de Robert Rauschenberg, qui utilisa la lumière artificielle à travers la peinture pour concrétiser la luminosité suggérée au cours de l’histoire par des moyens illusionnistes.
Adian dispose toujours d’un carnet de notes à portée de main dans lequel il dessine des esquisses de œuvres à venir. Ces idées générales de formes simples et très schématiques suggèrent la manière dont certaines d’entre elles pourraient devenir une œuvre. Par conséquent, la traduction de ces esquisses en travaux achevés en modifie aussi leur aspect préliminaire : notons en effet la liberté relative de l’imaginaire graphique confrontée aux véritables possibilités matérielles de la toile tendue sur le feutre et un panneau découpé. Ces conditions concrètes, de même que l’échelle, conditionnent en grande partie l’apparence finale de l’œuvre.
Malgré la dimension ludique inhérente au vocabulaire d’Adian, composé de formes organiques somptueuses et de couleurs pastel, parfois parsemées de paillettes, l’artiste est toujours soucieux de la qualité de son travail en tant que peinture abstraite – c’est-à-dire de sa mise en relation avec les problématiques formelles auxquelles les peintres abstraits se sont confrontés au cours du siècle dernier. Par l’emploi de ce vocabulaire, aussi bien marqué par l’influence du pop que par un aspect minimal, le travail s’aventure sur le terrain de la bande-dessinée, où un cercle pourrait par exemple s’apparenter à une bulle de texte. Ceci le rapproche de Joe Bradley, qui lui aussi s’engage dans cette voie pour ses peintures modulaires.
Les traces du travail manuel ne cessent toutefois d’être visibles. Adian donne lui-même forme à l’œuvre à chaque étape de la réalisation, produisant des lignes toujours irrégulières et tracées à la main, ni trop droites ni géométriques. Une dimension physique s’affirme avec ces lignes formées manuellement. Combinées à la souplesse des supports, elles nous font entrer concrètement en relation avec elles. L’interférence entre deux panneaux suggère ainsi la rencontre physique entre deux personnes, qui ressentiraient chacune la proximité du corps de l’autre. Ce qui n’est pas sans rappeler l’œuvre de Bruce Nauman, dont les curieux moulages en fibre de verre réalisés à partir de sections de son propre corps interpellent par leur présence.
Ce n’est pas la première fois qu’Adian utilise des panneaux superposés dans son travail, mais il s’agit cette fois de l’expérience la plus radicale. Cette approche est pour Adian une manière d’évoquer la compression de l’information, une problématique présente depuis longtemps dans son travail, et plus largement, dans la société et la culture contemporaines. Stratifier est à la fois cacher et révéler l’information, mais c’est également la nuancer et la rendre plus complexe. Ces nouveaux panneaux qui accentuent ces potentialités sont à la fois physiques et illusoires, des objets concrets dotés d’un contour net, mais aussi d’une surface colorée en deux-dimensions. Le type d’informations qu’Adian cherche à délivrer est, par nature, propre à la peinture. Formel et pictural, son travail demeure avant tout une juxtaposition singulière de couleurs et de formes dans l’espace, délivrée par des supports excentriques et vecteurs d’une douce matérialité.