Almine Rech Bruxelles a le plaisir d'annoncer Successo evidente (hidden tracks) la septième exposition personnelle de Jean-Baptiste Bernadet à la galerie, du 16 janvier au 1er mars 2025.

Comment définissez-vous le succès ? Cette question triviale qui revient souvent dans les livres de développement personnel ou pendant un entretien d’embauche gênant porte de nombreuses implications lorsqu’on la pose dans le domaine de la peinture. En effet, il n’est pas du goût de tout le monde d’entendre que certains tableaux « adviennent » et « se produisent » tels un instantané. Si en peinture, une facture parfaitement lisse peut fasciner en suggérant un travail minutieux ou le triomphe de l'automatisation, les traces visibles de labeur et de frustration ont quelque chose de rassurant : les gens aiment savoir que ce n'est pas venu facilement. En art, à moins de tester comment faire les choses le moins bien possible en en faisant le moins possible, la satisfaction n’est rien. Mais ce genre de transgressions est de courte durée. L’approche protéiforme du peintre Jean-Baptiste Bernadet brouille les frontières entre ces croyances et attitudes contradictoires, à tel point que dans son travail, les conditions de réussite d’une œuvre peuvent être considérées comme un sujet à part entière.

Dans ses séries les plus connues, comme Fugue ou Vetiver, l'artiste utilise le moins de peinture possible et s'efforce de dissimuler le travail nécessaire pour parvenir à l’impression d'efficacité qui définit souvent ses compositions all-over. Même si elles résultent de l'accumulation de micro-événements sur la surface de la toile, ces peintures répondent à un critère selon lequel elles doivent apparaître comme des compositions trouvées, semblables aux paésines, aux t-shirts tie- dye, à des photocopies abîmées par le temps, à des phosphènes ou des couchers de soleil. À cet effet, Bernadet sait recouvrir ses traces pour se retirer peu à peu de la toile tout en la peignant.

La fascination du peintre pour l’idée selon laquelle l’œuvre se concrétise lorsque, après de nombreux ajustements, elle commence à ressembler au résultat d’un hasard agréable, implique aussi que ce qui fait que le tableau « marche » est toujours sujet à débat. Successo evidente (hidden tracks) reformule la question mentionnée plus haut à travers un groupe de peintures qui fonctionnent comme une série d'arguments et de contre-arguments. La première partie du titre de l’exposition est issue d’une des peintures-enseignes qui ponctuent régulièrement le parcours de l’artiste. Peinturluré sur un fin morceau de bois saupoudré de paillettes, Successo evidente (2009) pourrait évoquer la promesse d'un charlatan ou le questionnement sincère d'un artiste dans son atelier. La question est à la fois sérieuse et un peu sarcastique : l’un n’excluant pas l’autre.

Ce qui semblerait être une tache accidentelle sur Untitled (a blessing) (2011-2024), petite peinture par numéros, fait écho à la palette de couleurs et aux touches spontanées d’une plus grande toile, Untitled (gran turismo) (2012-2024). Ce qui semble être unique se reproduit. Une mauvaise empreinte fait une bonne impression. Le succès arrive par l’échec ou en nettoyant son pinceau. Les échecs se produisent en travaillant. Le travail peut être trompeur. La tromperie est un dur travail. Travailler dur n’est pas tout. Tout le reste est difficile.

Pour Bernadet, un coloriste convaincu, peindre c’est aussi faire la cour. Dans ce jeu de perception et de séduction, l’artiste assume volontiers de jouer les dépravés pour tenir à distance les penchants héroïques du médium. Dans Untitled (briefly gorgeous) (2014-2024), une série de toiles sérigraphiées en noir et blanc montrant différents états de la même photographie d'un paon flamboyant trouvée à la Picture collection de la New York Public Library, l'artiste montre qu’il n’a pas peur de jouer avec les termes de son propre discours pictural. Dans cette suite d’œuvres réalisées mécaniquement, la couleur est évoquée par son absence.

Si la tendance de l’artiste à régulièrement corrompre ses propres réussites est d’une grande fraîcheur, il ne s’agit pas pour autant d’une méthodologie, mais plus simplement d’un mécanisme qui régule le flot de son travail. Dans une nouvelle série intitulée Acqua alta (2024), l’intelligence liquide inégalée de la peinture vient traduire la nature éphémère de perceptions qui se matérialisent dans une succession de couches translucides et dynamiques. Ces peintures évoquent le fonctionnement d'un scanner parcourant une surface plane submergée par les impressions d'un monde en mouvement. Le flottement indécis de plans, proches ou lointains, suggèrent des objets diaphanes tel des écrans sur lesquels nos propres impressions peuvent se rassembler en un certain ordre.

(Texte de Émile Rubino, artiste et écrivain)