Almine Rech Bruxelles a le plaisir de présenter Weight of love, la première exposition personnelle d'Aly Helyer à la galerie, du 16 janvier au 1 mars 2025.

La monumentalité du terme Weight of love (Le poids de l'amour) évoque souvent une atmosphère intense et spectaculaire, généralement associée à des sentiments d'affection et d'amour. Cependant, Aly Helyer ne s'intéresse pas à la théâtralité. Ce qui l'intrigue plutôt, ce sont les manifestations particulièrement nuancés de ces liens émotionnels permettant d'explorer la condition humaine. Des expressions aux interactions gestuelles, ses peintures étudient les relations et les actes physiques du toucher en tant que démonstrations d'amour. Sans grand récit ou suggestion, celles-ci amènent à une question fondamentale : que signifie être humain ?

L'amour même peut être un fardeau, pesant et fatiguant. Cependant, il peut aussi être édifiant et cathartique, nous stimulant et améliorant notre état émotionnel. Entre ces extrêmes se trouvent les échanges et les relations ordinaires : certains simples et visibles, d'autres plus complexes et surprenants. Et le résultat tangible de toute relation est le toucher. Qu'il s'agisse de tendre timidement la main, d'effleurer quelqu'un, de tapoter gentiment une main, d'étreindre affectueusement, d'embrasser ou encore d’échanger des contacts physiques conflictuels, Helyer synthétise ces actes d'intention émotionnelle en aperçus poétiques de la complexité humaine. Ces manifestations tactiles de sentiments sont comparables à l'acte même de peindre, où l'application de pigments sur la surface est également motivée par l'intention et l'émotion.

« La tâche du peintre est de créer une présence physique », disait Cézanne, et il est aussi fondamentalement humain de vouloir exprimer et sentir une présence corporelle. L'ambiguïté et l'incertitude des émotions et la perplexité de leurs manifestations sont d'autant plus pertinentes dans un monde au rythme effréné où rien ne peut être considéré comme acquis, ce dont Helyer a bien conscience. Ceci se voit plus particulièrement dans Smile, 2024, où l'expression d'une seule personne oscille entre un sourire amusé timide et un regard fixe presque critique, ses traits asymétriques, voire quelque peu illogiques accentuant ce double aspect vague. Helyer choisit généralement des titres suggestifs qui renforcent l'ambiance et l'intrigue autour de récits potentiels. En parallèle, ils permettent à l'environnement de l'artiste – la musique, un livre qu'elle lit ou les échanges qu'elle a ou entend – de pénétrer, d'ajouter une couche pertinente et complémentaire, à son travail.

Au premier abord, les images semblent vives, colorées, basées sur le dessin et leur contenu relativement simple. Mais quand on y regarde de plus près et dans le contexte plus ample de son œuvre, le jeu des couleurs, la délicatesse du pinceau et des surfaces, les expressions nuancées, les perspectives qui se chevauchent et les interactions ambiguës les élèvent au rang de représentation profonde de l'existence humaine et des relations. Ces peintures, fruit de séances de dessin sans fin où chaque détail et chaque élément bouge jusqu'à ce que tout soit en place, montrent que Helyer s'appuie sur son intuition et son désir de communiquer. Ce processus peut subvertir un visage apparemment « parfait » par une caractéristique supplémentaire empruntée à une autre perspective ou à un autre angle, en clin d'œil à la méthode cubiste d'une représentation plus complète.

Poussée par la possibilité de transmettre les expressions et les émotions les plus impénétrables, la représentation des muses imaginaires est sincère et profondément ressentie, évitant les comportements superficiels et évidents. Une fois définis sous cette forme, les personnages sont modelés par la couleur, l'accent portant sur les zones claires et sombres. Les surfaces mates, créées par une accumulation de couches, révèlent le caractère physique du processus, et la couche finale non polie permet aux couches inférieures de transparaître et de donner une impression de profondeur, de volume, de lueur, voire d'éclat. Les fréquents oranges vifs et éclatants contrastent directement avec les gris sourds et sombres, accentuant la présence des personnages et affinant leur apparence sans âge et leur ambiguïté raciale et sexuelle.

De là, Helyer chorégraphe le rapport entre les sujets et les espaces sans perspective évoqués par les éléments du fond tels que le papier peint, les aplats de couleur, les éléments architecturaux ou naturels, et parfois les jeux d'ombres. Cette organisation souligne la crédibilité de l'image, qui fonctionne uniquement par la peinture. Travaillant à partir de sa propre et unique perspective, révélant des relations invisibles et remettant en question les hypothèses sur la réalité, Helyer ne capture pas un monde objectif, mais une expérience subjective de la réalité – l'acte même de percevoir. Les sujets, qui existent en parallèle du « monde réel », sont consciemment imprégnés d'un sens de l'humanité par le biais d'éléments formels qui mettent en valeur leur caractère sensible, mélancolique et peut-être imparfait. L'ensemble si justement équilibré de la simplicité des éléments et de la composition nous renseigne suffisamment pour stimuler l'œil et l'esprit, mais en omettant bien davantage. « La simplicité a non seulement plus d’impact, elle est aussi plus réaliste », défend David Salle dans How to see concernant l'habileté de Piero della Francesca à dépouiller ses tableaux de tout effet superflu – réduction que l'on remarque également chez Helyer.

Généralement statiques, calmes et donc figées ou compactes, les images révèlent une légèreté, voire une espièglerie à travers l'ambiance subtile et émotive qui émane des indices et des microexpressions insoupçonnables des modèles. Une approche presque maniériste dans l'exagération de certaines qualités – la longueur du cou, les traits du visage, les proportions – ajoute une touche d'asymétrie ou d'élégance artificielle, mettant en évidence la préoccupation contemporaine pour les apparences. Par l'addition de postures ou de compositions, qui rappellent parfois la photographie de mode, ainsi que de détails de vêtements, l'œuvre d'Helyer s'inscrit clairement dans le contemporain tout en usant d'un riche éventail de références historiques. Les clins d'œil à l'industrie de la mode et à la représentation des mannequins évoquent aussi la fausseté, l'artificialité et les sentiments d'insuffisance ou d'infériorité qu'ils suscitent souvent.

L'apparence juvénile des sujets s'inspire du phénomène de l'attrait de la jeunesse et de l'utilisation de la jouvence, de la vitalité, de l'énergie et de la beauté pour véhiculer la vivacité et la désirabilité. Dépeintes dans des circonstances douteuses, se conduisant secrètement et interagissant avec distance avec leur environnement, les muses de Helyer incarnent la réticence et la domination de la culture des jeunes, tout en révélant son côté cool et chic, ainsi que sa bizarrerie et sa maladresse. Parfois, elles sont accompagnées d'un animal familier qui, outre l'ajout d'un élément symbolique (liberté, amour, loyauté, etc.), prolonge l'idée de l'amour comme un aspect fondamental de l'expérience humaine, guidant nos actes, nos relations et nos identités.

(Texte de Saša Bogojev, écrivain et curateur)