L’exposition « Daniel Boudinet. Le temps de la couleur » permet de redécouvrir un artiste majeur du renouveau photographique en France à la fin des années 1970. Se détachant des pratiques du photojournalisme, son œuvre atemporelle et intimiste a notamment séduit Roland Barthes. Ce pionnier de la photographie couleur, dans ses séries savantes et précises, a permis à cette dernière de s’émanciper des usages amateur et commerciaux auxquelles on la cantonnait.
Daniel Boudinet naît en 1945 et passe son enfance à Chamonix (Haute-Savoie). Rien ne le prédestine à devenir photographe, si ce n’est un goût précoce pour la beauté et la mise en scène. Il s’installe à Paris à la fin de l’adolescence, et se forme à la photographie, faisant par la suite preuve d’une très grande maîtrise technique. Très introduit dans le milieu artistique et littéraire de l’époque, il fréquente Simone de Beauvoir, Serge Rezvani ou Nathalie Sarraute. Avenant, curieux de tout, il développe par ses visites, ses sorties, ses lectures une conception exigeante de son art.
Ses premiers projets annoncent ce qui seront les sujets qui traverseront son œuvre : le portrait dans le monde du cinéma et de la littérature, via ses collaborations avec le magazine Le Cinématographe et les éditions Fayard ; l’architecture avec un premier livre sur Paris, Bagdad-sur-Seine (1973) et le paysage avec son ouvrage sur les jardins de Bomarzo. Son style se met en place rapidement : sujets intemporels, cadrages rigoureux, sens de l’épure. Cette approche séduit ses contemporains : il est exposé dans des institutions (musée Carnavalet, Centre Pompidou, Bibliothèque nationale de France), des galeries (Agathe Gaillard, Viviane Esders, La Remise du Parc, Créatis) et rejoint les collections privées (Bernard Lamarche-Vadel) comme publiques (Ville de Paris). Cette recherche de sobriété séduit Roland Barthes, avec lequel il collabore à trois reprises et qui choisit une de ses photographies pour ouvrir La Chambre claire.
Mais celui qui se définit volontiers comme « classique » est également un technicien hors pair, qui explore les possibilités expressives de la couleur en photographie. Alors que cette dernière restait cantonnée aux pratiques amateurs ou publicitaires, ses travaux à la chambre ou au polaroïd sont parmi les premiers à asseoir le statut de la photographie couleur. Agissant « comme un peintre », il compose des tableaux de ses vues d’architecture ou de paysage, empreintes de majesté ou de mystère. Ses recherches et ses collaborations l’emmènent en France et à l’étranger, où il fait évoluer son esthétique en fonction de ses sujets, jouant sur les contrastes de couleur comme sur la taille des formats. Son œuvre est brutalement interrompue par la maladie : il disparaît en 1990, à 45 ans.
Vingt-cinq ans après sa rétrospective au Palais de Tokyo, l’exposition « Daniel Boudinet. Le temps de la couleur » se veut une redécouverte d’un acteur-clé des mutations des années 1970. Extrêmement cultivé, il participe aux préoccupations de son époque et interroge le langage de la photographie. Couleur, cadrage, format sont travaillés pour émanciper la photographie des usages marchands et lui faire acquérir le statut d’œuvre d’art. Le choix, alors que la majorité de son œuvre est en noir et blanc, de centrer l’exposition sur son oeuvre couleur est destiné à souligner l’importance de sa contribution dans ce domaine. Il fait à la fois figure de pionnier, par ses expérimentations techniques, et de classique, en cherchant comme un peintre à construire l’image par la couleur. Distinctes des pratiques américaines, ses œuvres prennent place dans une histoire de la photographie couleur européenne et se rapprochent de celles de l’italien Luigi Ghirri – exposé en 2019 au Jeu de Paume – Concorde – ou encore de celles des espagnols Cristóbal Hara et Carlos Pérez Siquier.
L’exposition « Daniel Boudinet. Le temps de la couleur » à Tours se compose d’environ 120 tirages, modernes et originaux, de vidéos ainsi que de pièces d’archives (correspondances, notes, imprimés). Les prêts consentis permettent d’exposer, outre la donation, des œuvres jusqu’ici très peu diffusées.