La Galerie Almine Rech est heureuse de présenter, pour la première fois à Bruxelles, une exposition de Jason Fox.
La première exposition personnelle de Jason Fox, chez Feature (New York) eut lieu au tout début des années quatre-vingt-dix, juste après l’exposition High and Low: Modern Art and Popular Culture au MoMA – première exposition scientifique d’envergure consacrée à la mise en lumière la « relationship between modern art and popular and commercial culture » – et deux années avant The Uncanny organisée par Mike Kelley au musée d’Arnhem. C’est l’œuvre de Fox elle-même qui invite à faire ces rapprochements, qui inscrivent historiquement ses apparents emprunts à la fois à l’histoire de l’art et aux pochettes de disques des années soixante-dix : une stratégie somme toute désormais ordinaire mais qui le fut moins à l’époque.
"The early nineties was another death-of-painting period and to be making expressive paintings that had nothing to do with appropriation was going against the tide. […] From the start I was interested in a kind of cyborg/extreme figuration. For me Guston was the big shadow to get out from under. He did what I wanted to do. He’s this giant shadow, and to get out from under it my strategy was to go extreme. I was listening to Howard Stern, watching early Cronenberg movies, looking at S. Clay Wilson and Crumb. I wanted to blow the figure up and rebuild it in a Frankensteinish way. Art history and comics were the body parts .” explique-t-il à Joe Bradley dans un entretien récent.
Il y a évidemment diverses manière de faire très sérieusement de la peinture et celle choisie par Jason Fox il y a maintenant une trentaine d’années, à ce jour très peu différente de ce qu’elle fut alors, en est une qui, à la longue justement, s’impose par opposition à tant d’autres. « His concept is simple: paint what you love, and paint it over and over. » écrit Kate Liebman dans le Brooklyn Rail .
On met souvent en avant la galerie de personnages qui peuplent cette œuvre dont la qualité figurative est elle aussi passée dans les mœurs et en effet, sa fantaisie et sa singularité sont remarquables : on y croise l’ex Beatles George Harrison, Barack Obama et Bob Marley (ceux-ci curieusement fondus en un même personnage) et à vrai dire tout un tas de personnages judicieusement qualifiés par Jerry Saltz de « paleo-futuristics ».
Ils forment une société qui a assurément des choses à nous dire sur la société américaine d’une part (le drapeau Américain y est à l’occasion utilisé de manière littérale), et sur la personnalité de l’artiste d’autre part. Le sujet de cette œuvre est souvent, en effet, le fait même de peindre, d’être un peintre, et l’on voit partout des toiles en train d’être faites (« Untitled » (2002), « Mabuse in studio » (2008), « Lester » (2009)) et de manière itérative des personnages tenter de s’échapper de ces toiles (« The painting That Stole the World » (2001) ; « The painting That Stole the World » (2015)). La toile elle-même est parfois reléguée à un angle du premier plan, et semble avoir essentiellement pour fonction de construire la surface du tableau (« Ashlar », (2016) ; « Untitled » (2017))
Si la dimension satirique de l’œuvre de Jason Fox ne fait pas plus de doute que son inventivité narrative, le repli fréquent sur le sujet de cette œuvre renvoie souvent injustement à l’arrière plan ce qui fait sa valeur dans l’histoire de la peinture : en l’occurrence sa dimension stylistique.
En la matière, l’ombre de Philip Guston plane en effet sur elle : on la retrouve parfois de façon très littérale dans la manière de peindre un pied ou une main, et jusque dans l’emploi parfois exclusif de la couleur rouge qui est l’une des formes que cette œuvre peut prendre. La fantaisie et la singularité, une fois encore, qualifient ce dialogue permanent avec la question du tableau lui-même (comment la chose est représentée, comment le tableau est composé) et l’incessant défi que l’artiste se lance de trouver des solutions formelles efficaces et complexes. Ses sujets sont effectivement des prétextes à toutes sortes d’expérimentations formelles qui se présentent d’emblée comme parfaitement conscientes de celles qui les précèdent dans l’histoire de la peinture, et de la manière dont l’histoire des images en général peut informer l’histoire de la peinture.
J’avais invité Jason Fox, en 1993, à prendre part à un ouvrage dans lequel divers artistes répondaient, de la manière qu’ils souhaitaient, à la question : « Quel est, selon vous, l’endroit idéal ? » et il avait, dans cette perspective, envoyé la phrase « In the arms of the one you love. » assortie d’un dessin au stylo bille représentant une petit homme broyé dans les tentacules affectueusement repliées sur son corps d’un personnage humanoïde féminin, aux cheveux agencés un peu comme un bicorne de Napoléon. Rétrospectivement, il est tentant de voir dans cette scène rocambolesque et presque épique la relation intime que Jason Fox entretient avec sa propre peinture, avec l’histoire de l’art – et probablement avec la société Américaine contemporaine. De ce dessin, il incarne lui-même, probablement, un peu des deux personnages.