L'Amérique latine ne nous a laissé que peu de collections d’œuvres asilaires, à l'exception du Brésil avec celle de la dotoura Nise da Silveira et celle, monographique, consacrée à Bispo do Rosario, toutes deux à Rio de Janeiro. Malheureusement, la collection du psychiatre Osorio Cesar, à Sao Paolo – fut irrémédiablement dispersée.
Quant à celle que nous a laissée le Pr. Honorio Delgado à Lima, au Pérou, elle n'est aujourd'hui connue que de quelques rares spécialistes ou à travers le volume n°11 de Psychopathologie de l'expression paru en 1965 dans lequel le psychiatre se livre à une étude de cas de peintre schizophrène.
Delgado – qui avait réuni durant sa carrière une collection riche de près de 1.500 œuvres - était pourtant la grande figure latino-américaine de la psychiatrie et de la psychanalyse de ce début de XXe siècle. Médecin chef de l’Hôpital Victor Larco Herrera de 1920 à 1969, il avait entretenu une longue correspondance avec Freud, ce qui lui valut d'être reconnu par ce dernier comme le pionnier de la psychanalyse en Amérique latine.
Autant dire que de découvrir – un demi-siècle après la mort de Delgado - un ensemble d’œuvres dues au dernier de ses patients, John Ricardo Cunningham, est un événement inespéré, témoignant à la fois du travail d'un des plus illustres psychiatres de son temps et des conditions qu'il a su réunir pour permettre l'émergence d'un œuvre aussi important.
La famille de Cunningham a été bien inspirée d'honorer la mémoire de son aïeul en conservant pieusement un ensemble remarquable qu'elle nous permet de proposer aujourd'hui.
Le travail de John Ricardo Cunningham évoque immanquablement celui, né à la même époque mais de ce côté-ci de l'Atlantique, d'un certain Carlo Zinelli.
Comme pour ce dernier, les gouaches - réalisées le plus souvent dans une palette primaire – sont très narratives et emplies de symboles, d'itérations, d’incongruités, de textes tantôt elliptiques, tantôt descriptifs. Œuvres peuplées de silhouettes de messieurs portant frac, canne et haut-de-forme, d'oiseaux et autres bestioles fréquemment chapeautées, tous évoluant au milieu de planisphères curieux et de mentions (géo-)politiques qui semblent indiquer que l'artiste voulait nous prendre à témoin sur l'état du monde. Cependant, cet univers onirique et fantasmagorique, bien que dénué de toute gravité, contraste avec des apparences faussement éloquentes et confère à cet œuvre un mystère et une grâce qui ne sont pas près de se dissiper.