L'œuvre de Lindsay Caldicott - née en 1956 à Leicester, s'étant suicidée dans la même ville en 2014 – est d'un rayonnement tel qu'il fait taire un instant les dichotomies entre l'art brut et l'art contemporain. Plutôt qu'à la dispute sur le sexe des anges, il nous invite à examiner les voies de passage, les anfractuosités par lesquelles s'écoule un même fluide créateur.
Le destin tragique de Lindsay Caldicott, à défaut d'offrir une grille de lecture de son travail, nous conduit cependant à y chercher la matière de son art, et à tenter d'en comprendre la nature.
Cette radiographe de profession, n'a interrompu sa courte carrière qu'à deux reprises, d'abord pour obtenir son Bachelor of Arts à l'Université du Middlesex à Londres en 1984, avant de retourner travailler dans un hôpital à Amsterdam, puis en 1990, en raison de son internement définitif pour schizophrénie. Or, c'est durant cette période trouble que Lindsay rassemble les sédiments de son passé pour en faire son grand œuvre.
À travers ce que Marc Lenot appelle, dans l'essai qu'il vient de lui consacrer, une « esthétique de fragments et d'assemblage », Caldicott développe un langage d'une cohérence fulgurante. La parenté avec les compositions d'El Lissitzky ou de Moholy-Nagy, voire avec certaines chronophotographies d'Etienne-Jules Marey, ne résiste pas à un examen plus attentif : elle ne cherche ni l'épure des premiers, ni ne se satisfait des effets cinétiques du dernier.
Chez Lindsay, l'on est d'abord frappé par sa manière d'ordonner ses collages en ensembles géométriques traversés d'accidents, de formes s'enchevêtrant et se réitérant obsessivement. Cependant qu'il règne dans ses œuvres une harmonie chromatique rarement démentie, s'étendant des gris aux sanguines et des nuances mordorées à la couleur chair. Car, en effet, la chair constitue la prima materia de cet univers fractal qui paraissait se déployer sous nos yeux. Et l'on comprend alors que ces linéaments sont principalement faits d'une myriade de fragments de radiographies, ouvragés au scalpel et assemblés avec une précision toute chirurgicale. Certaines fois, ce sont des détails architecturaux ou des éléments géométriques qui viennent contribuer à ce vertige de formes.
La sensation qui domine alors est celle d'une personnalité elle-même fragmentée, et tentant en quelque sorte de recoller des morceaux. Cherchant à faire naître à partir des moindres scories de son existence un ordre supérieur, ou simplement l'apaisement. Ou peut-être les deux. Les images qu'elle a engendrées étant comme les instantanés de ce moment-là, d'elle en équilibre au bord du précipice.