Avec Des silhouettes emballées, Jean-Robert Drouillard opère un virage dans son œuvre et nous livre plusieurs expériences qui rompent avec sa production passée. L’artiste s’est longtemps focalisé sur la sculpture réaliste, grandeur nature, de portraits d’adolescents, de femmes et d’hommes de son entourage taillés dans le bois. Sa dernière exposition au Musée des beaux-arts de Sherbrooke, Mon cœur est un ovni en forme de Frisbee, présentait un corpus portant l’hyperréalisme du sculpteur à son paroxysme. Les adolescents, dressés sur des piédestaux, étaient saisis dans un moment de jeu, l’attitude et les vêtements de chacun exprimant son individualité tout en témoignant de la condition adolescente de notre temps.
Jean-Robert Drouillard renoue maintenant avec ses premiers élans et se livre de nouveau à des expérimentations avec la matière. L’ensemble d’œuvres principales de l’exposition est constitué de sept sculptures en plâtre, un matériau inhabituel dans la production de Drouillard. Il a réutilisé pour cette série le moulage d’une statue représentant l’un de ses fils. Le format est également atypique : cette fois, la taille des reproductions est réduite par rapport au modèle. En outre, des éléments incongrus viennent briser le réalisme des œuvres : des formes tantôt bricolées, tantôt inspirées de la nature viennent remplacer la tête, le torse, ou encore la nuque des figures. Les éléments chimériques – comme la coiffe de loup – reviennent de manière plus intrusive encore qu’avant. Ces « hommes à tête de chou »1, ou de pigne de pins, ont-ils quelque chose à nous dire ? L’observateur peut projeter à loisir son interprétation pour expliquer la mutation subie par ce jeune homme cloné dans sept versions différentes.
En complément, des photographies montrent certaines sculptures de l’exposition, encore inachevées, dans des décors en chantier, comme des arrêts-sur-image dans la genèse des œuvres. Grâce à cette mise en abyme, Drouillard met en lumière un parallèle entre le processus de création d’une sculpture et le travail du bâtiment. À l’image d’un espace drastiquement métamorphosé par un chantier de rénovation, l’artiste a souhaité documenter les étapes de réalisation de ses œuvres. Entre l’avant et l’après, il reste ainsi une trace de la phase chaotique de sa fabrication.
Plus loin, une sculpture recouverte d’un tissu, dont seules les jambes sont visibles, évoque la silhouette d’une femme en burqa. La signification de cette couverture, qui nous empêche de voir le haut de son corps, est ambigüe : s’agit-il d’un tissu d’apparat, ou bien d’une étape dans l’emballage de l’œuvre – une mesure de protection dont les visiteurs d’un musée sont rarement témoins ? On retrouve ailleurs deux personnages de l’ancienne phase onirique du sculpteur, celle où des éléments du règne animal venaient sublimer des portraits d’hommes et de femmes. Deux jeunes filles affublées de coiffes en tête de loup se font face. Les figurines de bronze sont patinées en fuchsia. Comme un pied-de-nez à la tradition, ces petits chaperons rouges ont mangé le loup et se sont approprié ses attributs menaçants.
Enfin, au détour d’un mur, un ange surgit telle une apparition. Il s’agit de celui qui couronnait l’arbre de Noël de la Place des Festivals de Montréal en cette fin d’année 2017. C’est la seule sculpture en bois présentant une réelle continuité avec l’œuvre de Drouillard. Ce dernier revendique le caractère artisanal de sa pratique, héritière d’une tradition sculpturale intimement liée au christianisme. Avec Des silhouettes emballées, il introduit pourtant une réflexivité qui l’emmène vers des régions plus conceptuelles et expérimentales.
Texte par Suzanne Viot