À l’âge de 27 ans, Tian Dexi, né en 1979 à Shan Dong (Chine), quitta son pays pour la recherche des nouveaux horizons. Ayant obtenu le Dnsep en France, il s’adonne, pendant dix ans, à aiguiser ses poèmes écrits avec des objets abandonnés et des matières récupérées. Une vie presque anachorète en banlieue parisienne lui inspire un art méditatif fondé sur l’expérience quotidienne, qui dépassera pourtant toute quotidienneté. L’exposition que l’artiste baptise Stalker remonte au film du même nom de Tarkovski – cinéaste soviétique qu’il admire de tout cœur pour sa poétique et son épaisseur philosophique. Stalker, s’il désigne en français « chasseur furtif et silencieux », c’est plutôt de sa traduction chinoise que l’artiste se trouve inspiré : celui qui se met à l’affût, explore silencieusement les chemins nocturnes et se réjouit de sa petite clandestinité solitaire.
Stalker, Tian Dexi l’est par sa perspicacité et sa taciturnité, par la longue attente de l’air « vaine » qu’il sait mettre avant de réaliser une seule œuvre. Il attend longuement pour que sa « proie » – les « épaves » fragiles qu’il a pêchées à la lisière du monde contemporain – lui relève sa monumentalité latente. Collectionner, conserver puis se laisser fasciner. Tout se passe dans un « non-agir » méditatif à la taoïste – une meule usée, une horloge arrêtée ou une simple pale de ventilateur délaissée suffit déjà à se faire poésie. En savourant les moindres textures, gestes, même odeurs des objets exilés, l’artiste nous fait découvrir la singularité cachée dans la fadeur des quotidiens. Stalker, Tian Dexi l’est davantage par sa vigilance, par une odeur de danger que le silence de son œuvre sous-entend. La poésie-installation de Tian ne s’arrête pas à un lyrisme narcissique, mais d’une fatalité solennelle.
Une dent bestiaire retrouvée au cœur de la forêt, un bloc de fer purgé par l’incendie ou un fragment de l’ogive rouillée que l’artiste remet en scène nous évoquent secrètement la sauvagerie que la nature et la société humaine portent en elles depuis la nuit des temps. Des signes visuels très intensives composées des matières primitives et brutales ne cessent de suggérer une force destructrice qui nous surplombe. L’œuvre de TIAN, qu’elle soit monumentale comme ces grandes bouteilles d’oxygène redressés silencieusement au centre de la salle, ou minuscule telle un poids de balance pendu ou un colimaçon séché, s’inclinent souvent à un goût de risque – un risque qu’auraient couru tous les Stalkers : chemin inconnu, chemin perdu, chemin sans issue– le danger d’être précurseur. On retrouvera dans les œuvres de Tian une fascinante intensité entre le prédateur et la proie, entre la menace et la surprise, entre la précarité du destin individuelle et l’incertitude infini que le futur nous réserve. « Il y a plein d’espoir dans ma création », l’art de Tian Dexi met au silence la parole pour que les indicibles se rendent éloquents : grandir, périr, dessécher, renouveler. Penser l’incertitude de chaque petit événement, revivre la temporalité de chaque petit être. L’artiste, en reliant la vie et l’art, fait des petites ruines son jardin vivant.