Du 15 octobre 2024 au 30 mars 2025, le musée des Arts décoratifs propose un voyage fascinant au cœur de nos jardins secrets à travers une histoire de l’intime du xviiie siècle à nos jours.

470 œuvres, peintures et photographies, mais aussi objets d’art décoratifs, du quotidien et de design, révèlent comment l’intime a évolué. De la chambre vue par Henri Cartier‑Bresson ou Nan Goldin, des lits en fer forgé du xixe siècle au lit-clos des Frères Bouroullec, de la chaise percée à l’urinoir pour femmes, des objets de la toilette sèche à la salle de bain, de la beauté aristocratique à la consommation de masse, des livres licencieux aux sex-toys, du walkman aux réseaux sociaux et à l’influence, en passant par les outils de surveillance et de protection, l’exposition montre comment l’intime s’est imposé puis s’est profondément modifié.

Les frontières entre privé et public devenues plus floues et poreuses engendrent de nombreux débats. Le commissariat général est assuré par Christine Macel, directrice du musée des Arts décoratifs avec le commissaire Fulvio Irace, historien du design et de l’architecture. La scénographie est réalisée par l’architecte italien Italo Rota.

À travers douze thématiques, l’exposition, présentée dans la nef du musée et les galeries latérales, s’ouvre sur un gigantesque trou de serrure. Dans une ambiance intimiste, cinq thématiques se déploient dans la galerie côté jardin autour du thème de la femme et l’intime, la chambre, les lieux de commodités, la toilette et la beauté, jusqu’au parfum.

Le femme et l’intime

Au xixe siècle avec l’émergence d’une classe bourgeoise, la vie professionnelle et familiale se séparent : la femme est alors maîtresse du domestique et de l’intime. Les peintres, essentiellement masculins, tel Edouard Vuillard, ouvrant le parcours, les représentent souvent dans leur intérieur. Ce n’est que progressivement, grâce aux révolutions féministes, que la « femme mystifiée » dont témoigne le livre de Betty Friedan, se dissocie de l’espace clos.

Les lieux de commodité

Des objets du xviiie siècle comme le bourdaloue, pot pour uriner en public utilisé par les femmes, chaise percée ou bidets, sont mis en regard d’urinoirs et de de WC récents, comme le dernier modèle de Toto. L’invention moderne de l’hygiène et de l’intimité a modifié les lieux d’aisance qui deviennent l’objet d’interdits au xixe siècle, dont les artistes comme Judy Chicago ou Sarah Lucas se jouent au xxe siècle.

Une chambre à soi

Le mot « chambre à coucher » apparaît seulement au xviiie siècle. Une grande bibliothèque d’ouvrages liés à la chambre, de Marcel Proust à Michelle Perrot, est présentée. De Ramon Casas à Martine Locatelli, émergent de nouvelles représentations, de la sieste à la chambre d’adolescent. Le lit devient un lieu de vie pour Un homme qui dort de Georges Pérec, de travail ou de création, pour l’écrivaine Colette comme pour l’artiste Ben. De nos jours, chacun aspire à avoir « un lit à soi ».

Au bain

L’eau a longtemps été associée aux miasmes, avant que n’apparaissent les recherches modernes sur l’hygiène. La salle confronte d’anciens brocs et tables de toilette, le tub en métal du xixe siècle, représenté par Edgar Degas ou Alfred Stevens, avec la baignoire en céramique, lorsqu’apparaît la salle de bain, qui se généralise dans les années 1950. Le luxe d’hier est devenu la banalité d’aujourd’hui.

Beautés intimes et parfums

La construction de l’apparence se prépare le plus souvent à l’écart des regards extérieurs. Certains objets qui y sont associés n’ont cessé de changer, voire de disparaître selon les modes, révélateurs de tournants sociologiques. Poudriers, miroirs et rouges à lèvres dénotent une uniformité de l’apparence féminine jusqu’aux années 1960.

La période récente ouvre à plus de diversité, d’inclusivité, et de fluidité des genres. Le parfum se dévoile soit dans une très grande proximité physique, soit à travers un sillage qui se partage plus volontiers. Ces deux typologies signifient donc beaucoup du rapport à l’autre que l’on souhaite instaurer, du sentir bon à l’appel à la volupté. De l’eau de Cologne au parfum Opium d’Yves Saint Laurent en passant par Tabac blond de Caron, le parfum, comme son contenant, nous révèle.

Promiscuité et isolement

L’exposition se poursuit dans la nef avec une scénographie spectaculaire centrée sur vingt-cinq chefs-d’œuvre du design du xxe siècle autour du thème du nid et de l’intimité partagée. Le design des années 1950 à aujourd’hui, à travers des sièges, canapés ou lits, illustre une dialectique constante entre un désir d’isolement et une promiscuité choisie. Des pièces comme la Womb chair d’Eero Saarinen témoignent du repli protecteur des années 1950-1960, tandis que des créations de Superstudio, Archizoom ou Memphis reflètent le désir de rassemblement typique des années 1960 et 1970.

Le parcours continue au fond de la nef et dans les galeries de la rue de Rivoli, abordant six thématiques qui explorent les changements les plus contemporains, de la sexualité aux réseaux sociaux, en passant par la création de contenus et les techniques de surveillance. Il interroge également la question de l’intimité en temps de précarité et s’achève sur une salle consacrée au plus précieux de l’intime, cette conversation avec soi qu’offre le journal intime. Enfin, une œuvre de Thomas Hirschhorn, citant la philosophe Simone Weil, invite à réfléchir sur les possibilités des réseaux sociaux et à envisager un nouvel humanisme.

Intimité et sexualités

Du Verrou de Fragonard aux livres licencieux du xviiie , les œuvres révèlent le « male gaze » ou regard de l’homme sur la femme. L’homosexualité, quant à elle, est alors rarement représentée et jugée négativement. Au xxe siècle, des représentations de toutes les sexualités apparaissent au grand jour de David Hockney à Nan Goldin ou Zanele Muholi. De nouveaux objets, les vibromasseurs et les sex-toys, de Matali Crasset à Tom Dixon, rencontrent un succès grandissant sont présentés dans une large vitrine au fond de la nef.

La chambre connectée

Les nouvelles technologies ont largement contribué à modifier la définition et le vécu de l’intime. Ainsi sont exposés le walkman Sony de la fin des années 1970, le Minitel rose des années 1980, les téléphones mobiles apparus dans les années 1990, la téléréalité avec Loft Story, au début des années 2000, et le lit connecté d’Hella Jongerius qui rend compte de la nouvelle chambre connectée.

Des réseaux sociaux à l’influence

Un film de 1947 du réalisateur J.K Raymond Millet imagine déjà la naissance d’un monde multi-écrans avec une prescience saisissante. Des créateurs de contenus exposent leurs comptes Instagram comme leur conception de l’intime, de Lena Situations à Sophie Fontanel, tandis que les photographies d’Evan Baden alertent sur le danger de l’exposition de soi.

Surveillance et protection

Les nouvelles technologies de surveillance et de protection ont engendré de profondes modifications de notre rapport à l’intime et à la vie privée, que ce soit dans l’espace public ou privé. Cette salle présente caméras de surveillance, techniques de géolocalisation et de traçage, objets de reconnaissance faciale, drones et objets connectés, qui génèrent des possibilités comme des risques.

L’intime précaire

Que reste-t-il de l’intime et comment le préserver lorsqu’on se trouve en situation précaire, privé d’un espace à soi, qu’il s’agisse du sans-abri, du migrant, du prisonnier ou du malade ? C’est la question à laquelle répond le design de survie de Kosuke Tsumura. Quand l’abri vient à manquer, c’est le banc public et la couverture de fortune, qui permettent de reconstituer le nid nécessaire au sommeil, comme en témoigne Mathieu Pernod.

L’intime ultime

L’intime consiste, au-delà de l’intimité, en ce que l’on conserve à l’intérieur de soi, les pensées, les rêves et l’imaginaire qui nous habitent. Un intime ultime qui ne peut nous être ôté. L’idée même d’une conversation avec soi-même connaît son apogée au xixe siècle avec la pratique du journal intime qui perdure sous d’autres formes comme le blog, dont témoignent un choix de plusieurs journaux du xixe siècle à aujourd’hui.