“Ainsi, une immense maison cosmique est en puissance dans tout rêve de maison. De son centre rayonnent les vents, et les mouettes sortent de ses fenêtres. Une maison si dynamique permet au poète d’habiter l’univers. Ou, autre manière de dire, l’univers vient habiter sa maison.“ Extrait de La poétique de l’espace de Gaston Bachelard, Ed. Les Presses universitaires de France, 1957 Stefan Kürten(né en 1963),traite précisément de ce désir pour un refuge privé.
Presque toujours,ses œuvres comportent des bâtiments isolés entourés de jardins strictement conçus ou d’un cadre sauvage et naturel, guidant notre regard vers la seule pièce d’architecture. En évitant constamment la représentation des personnes habitant dans la maison ou à proximité, il donne à ses sujets un sentiment de neutralité, une manière subtile d’attirer notre attention dans ses espaces picturaux. Il ne cherche pas à raconter une histoire laissant libre le regardeur de la créer en procédant par associations d’idées. Ainsi, l’intention n’est pas de décrire la réalité, mais d’évoquer une idée de réalité qui offre à chaque regardeur l’opportunité de l’imaginer dans l’image, de se perdre à l’intérieur de celle-ci.
Que ce soit à partir de ses propres photos ou dans son environnement immédiat, dans les livres et les magazines, les peintures de Kürten sont des constructions artificielles, soigneusement composées même si les lieux évoqués éveillent un sentiment de déjà-vu, ces architectures et ces lieux n’existent pas en tant que tel en réalité.
Kürten dépeint des environnements qui ne sont pas sans évoquer ceux auxquels on aspire ou qu’on tente de créer – un lieu de vie parfait – une maison comme symbole de nos rêves et de nos espoirs, à l’architecture moderniste proche du style Bauhaus et du mouvement “Prairie houses“ d’un Frank Lloyd Wright, dont Kürten de par sa culture allemande et américaine connaît bien le sujet.
Toutefois à y mieux regarder, un point de rupture se faire sentir. L’indétermination des sources de lumière jetant des ombres improbables ou des reflets sans correspondances suscite une étrangeté à ces scènes idylliques. Les parties qui devraient être sombres sont éclairées et vice-versa ; un peu à la manière d’un négatif en couleur endommagé par le temps (même si ici les couleurs n’en sont pas affectées).
Techniquement Stefan Kürten commence toujours ses peintures – sur toile ou sur papier – par une couche de peinture de couleur or et procède par recouvrements successifs : sur cette couche préliminaire, il y dessine son sujet de manière très détaillé à l’encre de Chine puis revient à l’acrylique par touches fines et successives. Il jaillit ainsi de ses compositions sur fond or, donnant aux couleurs qui les recouvrent un aspect décoloré, une lumière indéfinissable et étrange.
Kürten fait clairement référence dans son œuvre à la notion artistique et surtout littéraire, développée par Freud du ‘Unheimlich’, qui n’a pas d’équivalent dans la langue française mais dont on s’accorde à traduire par ‘l’inquiétante étrangeté’ (ce qui trouble soudain les situations les plus ordinaires et innocentes). Ici, la maison comme porteur du ‘Unheimlich’ mais dont le lien apparaît à proprement parler dans notre imagination en reliant mentalement ses espaces picturaux aux évènements possibles qu’ils induisent.
La vie n’est pas simple dans le monde de Kürten. Le vernis peut se révéler très fragile, à l’image du monde d’un Lewis Carroll, les apparences peuvent être trompeuses derrière le miroir.