À l’occasion de sa prochaine exposition, la galerie mfc-michèle didier est heureuse de présenter le travail de l'artiste britannique Fiona Banner.
Pour cette artiste qui ne cesse d'explorer les espaces de frictions entre la notion d'objet, d'image et de texte à travers la singularité d'un travail graphique mais également éditorial, il s'agira d'articuler l'exposition Au Cœur des Ténèbres autour de l'ouvrage éponyme adapté de la nouvelle de Joseph Conrad, Heart of Darkness.
Parue en 1899, la nouvelle de Conrad relate la lente remontée du fleuve Congo par Marlow, jeune officier britannique, à la recherche de Kurtz collecteur d'ivoire porté disparu. Mais le récit n'est alors qu'un prétexte pour l'auteur qui cherche à dénoncer l'agressivité de l'époque coloniale. De la même façon, c'est la structure narrative elle-même qui va intéresser des générations successives de réalisateurs.
Aussi, lorsque Orson Welles rédige en 1939 le script d'un film adapté de la nouvelle, ce n'est pas dans le but de dénoncer la violence des conflits secouant les Empires coloniaux mais plutôt la montée du fascisme, qui secoue alors l'Europe. Le film ne voit pourtant jamais le jour, la production se désengageant financièrement du projet pour des raisons politiques. Il faut attendre 2012 pour que l’adaptation de Welles soit pour la première fois mise en scène par Fiona Banner.
Lorsqu'en 1970, Francis Ford Coppola s'empare à son tour de la trame narrative de l'ouvrage de Conrad, c'est pour la transposer cette fois-ci en pleine guerre du Vietnam avec la réalisation du long-métrage Apocalypse Now. Fiona Banner puise dans ce film une référence pour sa première publication The Nam en 1997. L’artiste présente ici, l’ouvrage agrandi aux dimensions d’une table basse faisant écho à la remarque d’un critique qui s’amusant de la taille volumineuse de la publication déclara: «Fiona Banner’s The Nam is not so much a coffee table book as a coffee table.» *
Riche des apports singuliers inhérents à chaque génération de conflits, Heart of Darkness fera à nouveau l'objet d'une réappropriation en 2015 par Fiona Banner.
De cette appropriation découlera un corpus d'œuvres dont la variété des médiums ne servira qu'à alimenter une fois de plus un propos politique, celui de la violence économique de notre société contemporaine.
À la pièce centrale de l'exposition, l'ouvrage Heart of Darkness, Fiona Banner adjoint au texte originel de Joseph Conrad, d’une part des dessins révélant par le gros plan les fines rayures qui constituent le costume de rigueur des businessmen du Square Mile. D’autre part, des clichés commandés à Paolo Pellegrin, photographe pour * En anglais un «coffee table book» est ce que l’on appelle en français un «beau livre », livre précieux de grande dimension usuellement disposé sur une table basse – coffee table – d’un intérieur raffiné et destiné à inspirer les conversations.
Magnum, avec comme instruction de photographier le quartier financier de Londres à la manière d’une zone de conflit. La publication, imprimée sur papier glacé, prend pourtant la forme d’une parution luxueuse.
On retrouve également Heart of Darkness dans le film Phantom. Alors qu'un drone s'approche de l'ouvrage qui est déposé au sol et tente de faire la mise au point sur le texte et les images du livre, un courant d’air, créé par le mouvement des pales, agite les pages qui se dérobent à la caméra.
En parallèle du film est présentée à la galerie mfc-michèle didier, la série de cinq affiches intitulées The Greatest Film Never Made.
Pensées comme de véritables outils promotionnels, ces affiches commandées par l'artiste à trois agences graphiques londoniennes spécialisées dans l’industrie cinématographique, rappellent l'intensité dramatique du récit au moyen d'un contraste noir et blanc des plus radical.
À travers l’œuvre Breathing Bag, ce sont les mots de Conrad lui-même qui resurgissent dans le travail de Fiona Banner. Animé par une respiration mécanique, un sac en plastique fixé au mur et portant l’inscription «Mistah Kurtz – He not dead », se gonfle et se dégonfle faisant ainsi mentir la phrase issue du texte originel «Mistah Kurtz – He dead ».
Au côté de ces œuvres sont présentés les Full Stop Bean Bags, assises-pouf dont les formes plastiques s'apparentent à celles des points de ponctuation – full stop en anglais – que l'on retrouve dans différentes typographies. Parmi celles-ci figure Font, sorte de chimère typographique réunissant les polices de caractères fréquemment utilisées par l'artiste.
Après avoir été édités en polystyrène et en bronze, les Full Stop Bean Bags sont présentés ici dans leur version gonflée d’air et à dimension humaine offrant un moment de repos et de réflexion, comme une pause, dans la lecture de cette exposition.
Une nouvelle production prend également part à ce corpus d'œuvres. Tel un wallpaper, l'immense dessin recouvrant un pan de mur de la galerie mfc-michèle didier, offre à la vue un gros plan d’entre-jambes masculin vêtu d'un costume. Constitué d’une alternance de rayures noires et blanches, le motif agrandi à l'extrême n'est pas sans rappeler l'uniforme des hommes d'affaires du monde de la finance.
Et puisqu'une exposition consacrée à Fiona Banner ne peut faire abstraction de son travail éditorial, une sélection d'ouvrages de The Vanity Press, structure éditoriale à compte d'auteur créée par l'artiste en 1997, est consultable par les visiteurs.