Battue sans (réellement) combattre jeudi dans l’arène de Split, l’équipe de France a offert une autre version d’elle-même ce dimanche 23 mars, prenant le meilleur sur une Croatie inoffensive lors de la séance des tirs au but, où Mike Maignan a agi en sauveur de la patrie.
Désormais habitués des remontadas, les hommes de Didier Deschamps affronteront les champions d’Europe espagnols dans le dernier carré de la Ligue des nations (4-5 juillet). Mais cette qualification, aussi rassurante soit-elle, fait-elle pour autant lever tous les doutes sur le véritable niveau de la sélection ? À quelques mois de son pot de départ après treize ans sur le banc des Bleus, « DD » va vouloir finir en beauté.
Bien installé depuis 2012, Didier Deschamps a avalé quelques couleuvres. Justifiées ou pas, le sélectionneur a toujours maintenu sa traditionnelle langue de bois afin d’esquiver les questions les plus dérangeantes jusqu’au dernier Euro allemand et de lâcher aux vaillants journalistes osant lui reprocher son football soporifique : « si vous n’êtes pas contents, changez de chaîne ! ». Ce que beaucoup faisaient déjà, avouons-le.
Le minimalisme proposé sur le pré par le champion du Monde et d’Europe avec les tricolores a poussé une bonne partie de l’audimat à préférer s’orienter vers le ballon ovale pour retrouver un semblant d’action et de performance.
L’audience de ces Bleus-là a chuté depuis le début de saison, contrairement au XV de France, récent vainqueur du Tournoi des Six Nations et en tête selon Médiamétrie1, avec la plus mauvaise enregistrée lors d’Israël-France du 10 octobre (2,90 millions de téléspectateurs), avant de connaître la meilleure suite à la victoire et donc à la qualification en cette soirée printanière de fin mars (6,3 millions).
Le paradoxe de la chose est qu’en présentiel, le Stade de France a réuni 77000 spectateurs face à la Croatie de Luka Modric. Comment, donc, analyser cette différence ? Le champion du monde 1998 a bien avancé un argument, à savoir le trop plein de matchs dans un calendrier surchargé.
Pourtant, les téléspectateurs ont répondu présents à l’occasion de ce match charnière et il ne serait pas étonnant que cela se reproduise cet été à l'occasion de la demi-finale face aux Ibères. Avec de nouvelles têtes et un jeu un poil plus créatif, la première réussie de Michael Olise et un Ousmane Dembélé meilleur buteur européen en 2025, le technicien est-il capable de faire remonter sa cote d’amour et d'avoir enfin la reconnaissance qu’il mérite ?
Des Bleus vraiment « Boring Boring » ?
La première problématique est de savoir si la philosophie de « Dédé » est toujours si peu convaincante aux yeux du grand public. La victoire issue de la fameuse « culture de la gagne », au détriment du spectacle au risque d’infliger aux suiveurs un football indigeste et donc, de les perdre sur la durée. L'expression : « on ne se souvient que des vainqueurs » - bien connue des initiés - a tout de même lassé bon nombre de personnes qui ne semblent s'intéresser désormais qu'aux matchs couperets, ce qui pourrait expliquer la remontée des dernières audiences.
Les récentes retraites internationales des tauliers Hugo Lloris, Raphaël Varane, Antoine Griezmann et Olivier Giroud (dont le vibrant hommage a été rendu ce samedi), marquent le changement de cycle ainsi que la fin d’une génération dorée championne du Monde.
Pour autant, est-ce là également le clap de fin du pragmatisme à outrance ainsi que du jeu de transition ? La prestation en mode touristes de jeudi en Croatie nous a ramené à un passé sombre pour un score logique (0-2), alors que celle proposée dans l’enceinte dionysienne a été plus convaincante sans offrir pour autant un feu d’artifice et un soupçon de réussite supplémentaire dans la surface de vérité aurait évité le stress de la fameuse loterie des tirs au but.
Les nouveaux se sont montrés, le temps pour Olise d'inscrire un coup franc Messiesque (1-0, 52e), écrivant peut-être les premières lignes de son règne en tant que meneur de jeu. Adoubé par la Desch, il est avec Ousmane Dembélé, auteur du but du break (80e) et Mike Maignan le héros de la soirée.
Présent, juste techniquement et efficace pour sa première sortie, le milieu du Bayern a su apporter du liant offensif. Sans la maladresse de Kylian Mbappé devant les cages et aux arrêts salvateurs du portier croate, la note aurait pu être plus salée pour la sélection au damier, transparente après la sortie de son Ballon d’Or 2018 (82e).
Le peuple demande Rayan Cherki
Les puristes et autres journalistes apôtres du jeu léché clament surtout ces derniers mois avec ardeur l'arrivée du milieu offensif de l’Olympique Lyonnais chez les grands. Étincelant face aux Espoirs anglais, avec un but et deux passes décisives la semaine passée, l’homme fort du club rhodanien cette saison suscite même un effet de propagande à l’étranger.
Les Britanniques, scotchés par sa prestation, se sont même demandés pourquoi il n'évoluait pas déjà à l'étage supérieur. Serait-il le profil idoine pour prendre la succession de « Grizou » ? Seul le sélectionneur a la réponse. Même son de cloche chez nos homologues espagnols et futurs adversaires, avec les spécialistes de la Liga inondant leurs réseaux sociaux de publications à son effigie.
Brillant donc avec la sélection de Gérald Baticle, d’autres sont tout de même plus réticents à l’idée de le voir débarquer en Bleu. La raison ? Un tempérament à canaliser, un talent encore brut à polir. S’il est le meilleur produit - dixit Jean-Michel Aulas - sorti du centre de formation lyonnais depuis des années, il est aussi celui qui a mis le plus de temps à percer.
Lancé dans le grand bain à ses seize ans, il n’a réellement su gagner sa place de titulaire que cette saison, soit cinq années de balbutiements. Enfin considéré comme un élément clé du dispositif de Paulo Fonseca après avoir été relancé par Pierre Sage, le milieu créatif est surtout lancé en cette fin de saison pour éviter la potentielle rétrogradation administrative du club propriété de John Textor.
Le contre-pressing, cette arme si étrangère aux yeux de Dédé
Outre le fait d’apporter une touche de créativité à ces Bleus « new look », il faut surtout souligner l’absence d’agressivité à la perte et autour du porteur du ballon. Là où la Roja de Luis de la Fuente est reine, où un club comme le PSG sous les ordres de Luis Enrique permet d’avoir la maîtrise du milieu de terrain, Didier Deschamps reste ancré sur ses principes.
Le trio Aurélien Tchouaméni, Adrien Rabiot et Matteo Guendouzi a pris l’eau à Split, tandis que la donne a changé au retour avec le duo de récupérateurs Manu Koné et le madrilène. Cette marque d’inconstance est malheureusement significative de la patte Deschamps.
À l'orgueil, les Bleus ont éliminé les Croates, un peu comme ils avaient su se dépêtrer du Portugal en quarts du dernier Euro au bout d'un match fermé lors de la séance des penaltys où Joâo Félix avait trouvé le poteau de Maignan avant que Théo Hernandez envoie le pays dans le dernier carré.
Ce même orgueil qui leur avait permis de renverser l’Ukraine en novembre 2013 lors du barrage pour le Mondial brésilien en s’imposant 3-0 au Stade de France après la déroute de l’aller à Kiev. Le sélectionneur était déjà là et son impact psychologique auprès des joueurs n’a pas changé.
Étant l’antagoniste du jeu offensif et souvent dénué de fond de jeu, n'hésitant pas pendant une décennie à balader Antoine Griezmann sur tout le front de l’attaque afin d’en espérer un miracle, il ne faudra malheureusement pas compter sur une révolution à quelques mois de son retrait. Les débuts en sélection de Désiré Doué (alias le nouveau Neymar de la Ligue 1) et peut-être prochainement ceux d'un Maghnes Akliouche seront intéressants à scruter. Mais d’ici là, Dédé ne sera certainement plus là.
Notes
1 Équipe de France : « comment expliquer qu'on vous écoute moins aussi ? ».