Observer la vie de tous les jours et trouver quelque chose de spécial est quelque chose de naturel chez moi.
(Shimabuku)
La pratique de Shimabuku (1969, Kobe, Japon) repose davantage sur les relations que sur la création d’objets concrets. Ses œuvres, affectives et souvent humoristiques, sont suscitées par une anecdote, une conversation, un voyage dans un nouvel endroit ou par la curiosité même de l’artiste ; et elles sont développées à partir d’expériences avec des êtres humains, des animaux et d’autres êtres dans des espaces naturels et publics. Ces expériences suggèrent une façon emphatique et spontanée d’être au monde, en répondant à une simple question comme à un défi : « Que se passerait-il si je… ? » Voici une approche fondée sur la curiosité qui nous renvoie à l’enfance, une période où l’exploration de l’inattendu constitue une étape nécessaire au développement et à l’apprentissage.
Poulpe, agrumes, humain englobe des vidéos, photographies, sculptures, installations et des textes allant du début des années 1990 jusqu’à nos jours. L’exposition dévoile trois nouvelles œuvres créées par la Fundación Botín auxquelles ont pris part des communautés locales humaines et non humaines. Le titre de l’exposition fait allusion à chacune d’elles : une offrande pour les poulpes, des réservoirs d’eau pour les agrumes qui flottent et coulent, et beaucoup de cerfs-volants pour de nombreux êtres humains. Ces expériences ouvertes sont attestées et présentées au public dans des expositions comme celle-ci, où les conventions entre nature/culture ; processus/œuvre d’art ; public/collaborateur sont modifiées de façon ludique.
L’exposition commence par Des gens qui volent (Santander), 2024, une installation composée de nombreux cerfs-volants fabriqués à la main par des habitants de la région en collaboration avec Shimabuku.
Cette installation est accompagnée d’une vidéo montrant le vol collectif des cerfs-volants dans l’amphithéâtre extérieur du Centro Botín. L’exposition se poursuit avec une série de ses premières créations photographiques : Voyage en Europe avec un sourcil rasé, 1991 ; Symbiose (jacinthe et poisson-télescope noir), 1992 ; Noël dans l’hémisphère sud, 1994 ; ou Assis sur la vague, 1998, qui attestent de l’approche nomade et éphémère de sa création artistique.
Les œuvres de Shimabuku sont issues de la curiosité de l’artiste, en se déclinant sous la forme de variations à travers de multiples expérimentations, en s’adaptant à des contextes et à des écologies inédits. Exposition pour les singes, 1992 présente une vidéo et des photographies documentant les descendants des macaques japonais qui ont été transportés dans un sanctuaire du désert texan pour des expériences scientifiques en 1972. Le film Shimabuku’s fish et chips, 2006 est aussi projeté. Ce dernier retrace la rencontre entre les ingrédients de ce plat britannique omniprésent, en décrivant le voyage sous-marin d’une pomme de terre à travers Liverpool pour retrouver un poisson.
Depuis les années 1990, Shimabuku a développé un porte-folio d’œuvres en lien avec les poulpes qui reprend des créations comme Rencontre entre un poulpe et un pigeon : Si la gravité disparaissait sur Terre, un poulpe et un pigeon pourraient se rencontrer sur un pied d’égalité. Lutter contre la gravité, 1993 ; J’ai alors décidé d’emmener le poulpe d’Akashi faire un tour dans Tokyo, 2000 ; ou Attraper des poulpes dans des récipients en céramique fabriqués par mes soins, 2003. Pour cette exposition, l’artiste a placé 50 récipients en verre au fond de la baie de Santander afin d’enregistrer les interactions des animaux avec ceux-ci, ce qui a donné lieu à la vidéo À la rencontre des poulpes de Santander, 2024.
L’exposition s’achève par la nouvelle installation Quelque chose qui flotte / Quelque chose qui coule, 2024, qui consiste en une série de réservoirs remplis d’eau dans lesquels « flottent et coulent » une sélection d’agrumes d’automne fournis par la Todolí Citrus Fundació, une organisation à but non lucratif créée pour l’étude et la diffusion des agrumes et de la citriculture.
Shimabuku : poulpe, agrumes, humain s’accompagne de la publication, coéditée par La Fábrica, comportant des textes de la chercheuse Filipa Ramos et de l’artiste Philippe Parreno, ainsi que d’une conversation entre l’artiste et la co-commissaire de l’exposition Bárbara Rodríguez Muñoz.
Shimabuku (Kobe, Japon, 1969) vit à Naha, Okinawa (Japon). Ses expositions individuelles les plus récentes se sont tenues à la Kunsthalle Bern (2014), au NMNM Nouveau Musée National de Monaco (2021), au Wiels, Bruxelles, Belgique (2022), et au Museion – Musée d’art moderne et contemporain, Bolzano, Italie (2023). Elle a également participé à de nombreuses expositions collectives internationales, notamment à la Biennale de Venise (2003 et 2017), à la Biennale de São Paulo (2006), à la Biennale de La Havane (2015) et à la Biennale de Lyon (2017).