J'ai toujours été attiré par les histoires qui avaient quelque chose à dire sur la vie. En conséquence, j'ai essayé de chercher des réalisateurs et des histoires qui avaient du sens pour moi, qui enrichissaient également ma vie, qui m'amenaient à réfléchir à ce qu'était la vie.
(Robby Müller)
La Galerie Marian Goodman a le plaisir d'annoncer la première exposition personnelle de Robby Müller à Paris. Reconnu comme l'un des directeurs de la photographie les plus talentueux, Robby Müller (1940-2018) était également un photographe prolifique. L'exposition au 66 rue du Temple comprend une sélection de photographies choisies parmi son archive exceptionnelle de plus de 2 000 Polaroïds. Ces images prises pendant son temps libre en parallèle aux tournages des films auxquels il participait, en particulier ceux de Wim Wenders et de Jim Jarmusch entre le début des années 1970 et la fin des années 1990, n'étaient pas à l'origine destinées à être exposées. Clichés intimes et personnels, capturés dans des moments de solitude, ils révèlent le monde à travers son regard. En tant que directeur de la photographie, Müller avait choisi de travailler avec des réalisateurs qui avaient quelque chose à dire sur la vie ; ses Polaroïds témoignent d’une vision à la fois humble et poétique de l’existence.
Les Polaroïds originaux et les tirages de l’exposition montrent un florilège d’images très cinématographiques : des natures mortes, des paysages, des vues urbaines ainsi que de photos d'intérieur, prises pour la plupart dans diverses villes des Etats-Unis. Des enseignes au néon d'un motel de Santa Fe aux éclairages nocturnes de Los Angeles, en passant par les jeux les ombres sur un mur à Memphis ou la Tour Eiffel illuminée à Paris, ces photos éclectiques interprètent toutes différents dégrés de luminosité. Dans un essai écrit sur ses Polaroïds, Bianca Stigter note:
Robby Müller est souvent comparé à Vermeer, parce qu'ils sont tous deux hollandais et parce qu'ils traitent tous deux de la lumière de manière révérencieuse. Ils n'utilisent pas la lumière pour transmettre une scène, mais une scène pour transmettre la lumière. Ce n'est pas la lumière qui rend les choses visibles, mais les choses qui rendent la lumière visible. Les Polaroïds, surtout lorsqu'ils sont présentés en série, se soucient de la lumière, de la façon dont elle brille à travers un rideau ou une chemise, de la façon dont la lumière du jour cède la place à la lumière artificielle, de la façon dont la lumière peut avoir de la couleur et donner de la couleur, de la façon dont les différentes sources de lumière rivalisent et s'estompent.
Lorsqu'il travaillait sur des longs métrages de cinéma, Robby Müller passait des mois sur la route, dormant à l’hôtel où dans sa chambre il pouvait observer les reflets sur les miroirs, les fenêtres ou les écrans de télévision, où il remarquait les particularités de la lumière projetée depuis une lampe de chevet, des rayons du soleil tombant sur une cafetière ou à travers les persiennes. Comme explique Bianca Stigter:
Il est possible de voir une photo d'une chambre d'hôtel et de ne pas penser à une chambre d'hôtel, surtout si cette photo est prise par Robby Müller, chef- opérateur extraordinaire qui parvient à se débarrasser des catégories que les enfants passent leur vie à apprendre pour se consoler plus tard lorsque celles-ci ne s'appliquent pas, à voir les murs et les visages comme de simples objets sur lesquels la lumière peut jouer. Le protagoniste de Sartre dans La Nausée éprouvait du dégoût face à des choses familières qu'il ne pouvait soudainement pas nommer, mais dans les œuvres de Robby Müller, cela devient une libération. Il y a de la liberté dans cette ignorance, comme un cadeau précieux ; dans un monde où tout est chargé de sens, cette absence soudaine de signification est étrange et exaltante.
Robby Müller (Curaçao, 1940 - Amsterdam, 2018) était directeur de la photographie et photographe. Au cours sa carrière de chef-opérateur longue de cinquante ans, il a collaboré avec les réalisateurs les plus renommés, tels que Wim Wenders, Jim Jarmusch, Barbet Schroeder, Andrzej Wajda, Lars von Trier ou encore Raoul Ruiz. Parmi les plus de 60 longs métrages sur lesquels il a travaillé, on peut citer : The American Friend (1977) et Paris, Texas (1984) de Wim Wenders; Down by Law (1986), Mystery Train (1989) et Ghost Dog: The Way of the Samurai (1999) de Jim Jarmusch; Breaking the Waves (1996) et Dancer in the Dark (2000) de Lars von Trier. En 2002, il a également filmé Carib's Leap (2002) sur l'île caribéenne de Grenade en collaboration avec son ami de longue date Steve McQueen ainsi que les séquences lumineuses qui deviendront quelques années plus tard l’élément central de l’œuvre Ashes (2002-2015) de Steve McQueen.
Une partie de l’archive de Polaroïds de Robby Müller a été présentée dans plusieurs expositions depuis 2016 : dans la rétrospective Robby Müller. Master of Light, au Eye Filmmuseum, Amsterdam (2016) et à la Deutsche Kinemathek à Berlin (2017) ; Like Sunlight Coming Through the Clouds, organisée par Andrea Müller-Schirmer, à Arles (2019), au Festival international du film de Rotterdam (2020). En mémoire de Robby Müller, la Netherlands Society of Cinematographers, le Festival international du film de Rotterdam et Andrea Müller-Schirmer ont créé le prix annuel Robby Müller en 2020. L'exposition a été organisée en collaboration avec Andrea Müller-Schirmer, fondatrice de Robby Müller Archive, et la galerie Annet Gelink.