La Galerie Marian Goodman a le plaisir de présenter Dream time, la première exposition personnelle en France de Daniel Boyd, comprenant de nouvelles peintures et une intervention réalisée en dialogue avec l’architecture de la galerie. Avec son langage pictural unique, Daniel Boyd cherche à démultiplier notre perception visuelle en orientant notre regard vers des récits occultés par plusieurs siècles d'impérialisme et d’oppression culturelle. En prenant pour sujet des paysages, des représentations historiques et des portraits liés à son histoire personnelle, jusqu'alors invisibles, ainsi que des figures emblématiques rarement représentées dans les arts visuels, Daniel Boyd continue de transmettre et de transposer ses traditions culturelles et artistiques tout en renouvelant notre imaginaire collectif.

Le titre de l'exposition répond au dreamtime (temps du rêve), le terme donné par les premiers anthropologues européens pour définir ce qu'ils avaient compris de la mythologie sous-tendant l'ordre naturel des choses pour la plupart des groupes aborigènes australiens, proposant une vision réductrice de leurs cultures à la fois très diverses et interconnectées par de complexes réseaux narratifs. Boyd, qui a des origines plurielles (descendant d'autochtones australiens et d'insulaires des mers du Sud), propose une division du terme en oppositions binaires (Dream Time), permettant la nature incontrôlable du rêve de s’affranchir de la perception linéaire et encadrée du temps en Europe. Par le biais de la poièsis, ceux qui ont été déracinés et assimilés culturellement sont parvenus à une nouvelle constellation de récits libérés du temps et de l'espace, sélectionnant des histoires adressées aux nouvelles générations. À travers cette nouvelle série de peintures, Daniel Boyd cherche à renverser les hiérarchies existantes en matière de formes esthétiques et de représentations.

Ainsi on reconnaît dans Untitled (Taobiam) (2024) la silhouette presque imperceptible de l’Apollon du Belvedère, l’une des sculptures les plus célèbres de l’Antiquité, décrite par l’historien de l’art Winckelmann comme « ce que la nature, l'art et l'esprit conjugués surent produire de plus excellent ». L’image du dieu grec de l'harmonie, de la beauté et de la lumière côtoie le portrait de l’aïeule de l’artiste représentée dans Untitled (Nilymy) (2023) ou encore le paysage naturel à proximité du lieu de naissance de l’une de ses arrière-grand-mères dans Untitled (Wmhta) (2024). Plusieurs figures de l’époque moderne et contemporaine, issues d’horizons variés, participent au Dream Time de Daniel Boyd tels que le personnage fictionnel et icône du cinéma d’horreur Freddy Krueger, connu pour assassiner des adolescents dans leurs rêves dans Untitled (NSD) (2024) ou bien le basketteur Magic Johnson, leader charismatique de la Dream Team américaine qui marqua l’histoire en remportant la médaille d’or aux Jeux Olympiques de 1992 dans Untitled (Niidt) (2024). Avec Untitled (Liysloagpcd) (2024), l’artiste reprend un portrait photographique d’André Breton, chef de file du Surréalisme, ayant placé le rêve au centre de la recherche du mouvement tout en poursuivant l’appropriation par le Modernisme des formes artistiques extra-européennes.

Daniel Boyd cite l’idée du « droit à l'opacité » développée par Edouard Glissant comme l’une des inspirations conceptuelles guidant sa pratique formelle. Selon l’écrivain français né en Martinique, ce droit se définit comme celui de tout un chacun de conserver ses spécificités psychoculturelles, s’opposant à l'idéal de transparence promu par l'Occident qui au cours de l’Histoire a banalisé et parfois nié les différences entre les peuples. C’est avec sa technique pointilliste, sans lien avec la dot painting des artistes autochtones de la région du désert central australien, que Daniel Boyd tente de traduire cette pensée. Les points convexes transparents occupent de manière aléatoire la surface des toiles et interagissent avec la peinture noire qui les entoure, mettant en mouvement toute la surface des tableaux. Ces points décrits par l’artiste comme des « lentilles à travers lesquelles nous pouvons accéder à des points distincts de connaissance, d'expérience ou de perspective » permettent à chaque visiteur de percevoir les images différemment selon la distance ou la position où il se trouve. La profusion des points représente, quant à elle, notre vision collective. Enfin, les secrets bien gardés du processus de fabrication des tableaux leur confèrent une dimension magique, les nimbant de mystère comme métaphore du droit à l'opacité.

Dans la continuité de ce jeu de perceptions, l’intervention au rez-de-chaussée de la galerie révèle une sorte de crépuscule, et comme pour son installation dans l’atrium du Gropius Bau à Berlin en 2023, Daniel Boyd transforme l’espace la plus lumineux de la galerie en une pièce quasi obscure après avoir appliqué un vinyle noir perforé sur toute la verrière zénithale et les fenêtres. L’effet de mouvement furtif perçu dans les peintures est alors activé dans l’espace lorsque la lumière extérieure et les rayons du soleil se frayent un chemin à travers le vinyle, dessinant au sol une sorte de ciel étoilé en négatif, non loin dans l’exposition de la présence de la lune avec Untitled (Ybbntoe).

Daniel Boyd est né en 1982 à Gimuy/Cairns, dans le Queensland, au nord-est de l'Australie. Il vit et travaille à Sydney. Il a étudié l’art à la School of Art & Design de l’Australian National University à Canberra. Ses origines sont issues de plusieurs groupes autochtones australiens et d’insulaires de la Mer du Sud tels que Kudjala, Ghungalu, Wangerriburra, Wakka Wakka, Gubbi Gubbi, Kuku Yalanji, Bundjalung, Yuggera et ni-Vanuatu.

Daniel Boyd expose son travail depuis 2005, parmi ses expositions personnelles récentes on peut citer Doan, à Pacific Place à Hong Kong, en collaboration avec Art Basel Hong Kong (2024), Dreamland, à Marian Goodman Gallery de New York (2024) ou encore Rainbow serpent (version), un projet conjoint entre le Gropius Bau à Berlin et l'IMA, Institute of Modern Art à Brisbane (2023). Son travail a aussi fait l'objet d'une rétrospective en 2022 à l'Art Gallery of New South Wales en Australie.

Daniel Boyd a participé à de nombreuses expositions internationales, telles que la 56e Biennale de Venise (2015), sous le commissariat d'Okwui Enwezor ou encore la 20e Biennale de Sydney (2016). En 2017, il a participé à Mondialité, sur l’invitation des commissaires Hans Ulrich Obrist et Asad Raza à la Fondation Boghossian à Bruxelles. Il a collaboré avec Adjaye Associates pour la création du George Street Plaza and Community Building dans l’espace public à Sydney (2022). En 2015 il a remporté le premier Young Artist Award, décerné par la Melbourne Art Foundation Awards for the Visual Arts, et plus récemment en 2022 il a été finaliste de l'Archibald Art Prize. En 2020, l'Institut australien des architectes a décerné au mémorial qu'il a conçu For our Country (2019), le médaillon de Canberra, la plus haute récompense pour l'architecture du Territoire de la capitale australienne. Il a également remporté pour ce projet le prix Nicholas Murcutt, Award for Small Project Architecture.