Depuis sa naissance, en 1922, de Sigmund Freud, la psychanalyse peine à s’instaurer dans le panel des disciplines scientifiques pour cause de nombreuses critiques et discussions internes au mouvement psychanalytique ou extérieures.
Bien que Sigmund Freud ait été médecin et neurologue et que certains procédés psychanalytiques soient reconnus par nombre de scientifiques, la scientificité de la psychanalyse demande néanmoins à être vérifiée et ses concepts expérimentalement validés.
Une poignée de spécialistes, quant à eux, reconnaissent la scientificité de la psychanalyse. Les pratique et extension à l’échelle mondiale de cette dernière lui ont permis de s’étoffer en étant sollicitée en complémentarité d’autres disciplines comme la psychiatrie et de gagner en scientificité.
Pourquoi vérifier la scientificité de la psychanalyse ?
Une nécessité que Sigmund Freud a jugé bon de recommander à ses héritiers. C’est aussi l’avis de quelques détracteurs comme Adolf Grünbaum, professeur de philosophie des sciences et de psychiatrie à l’université de Pittsburgh soutenant que nombres d’idées de Freud n’étaient pas assez creusées par des données récoltées sur des groupes tests.
Dans Les fondements de la psychanalyse, Adolf Grünbaum atteste que les théories freudiennes n’ont jamais fait l’objet d’études : rien ne prouve qu’elles soient véridiques. En revanche, il admet tout à fait que la psychanalyse puisse être, sous certains aspects, expérimentée scientifiquement pour en déterminer les lois intangibles.
Il est même, selon Karl Popper, épistémologue, naturel que les théories énoncées par des chercheurs ou spécialistes d’une discipline donnée soient passées au crible par les scientifiques du monde entier, toutes disciplines confondues.
Pour répondre à l’opposition et gagner sa place parmi les sciences, la psychanalyse devra certes se laisser manipuler et faire preuve de bonne foi en étant ouverte aux critiques. Cette ligne directrice dont on a eu peu recours lui a valu d’être taxée hâtivement de pseudoscience, les psychanalystes étant jugés d’acrobates de la pensée ne tenant aucun compte des réfutations éclatantes qui leur sont opposées (Frank Cioffi, Professeur de l’université de Princeton).
La psychanalyse mériterait d’être recadrée par des analyses scientifiques, ce, au regard des défis qu’elle a déjà relevés. Un rapport de l’Inserm (2004), lui reconnaît une preuve d’efficacité établie par une méta-analyse et des études contrôlées randomisées pour traiter les troubles de la personnalité, en particulier les troubles de la personnalité borderline et une présomption d’efficacité établie par des études contrôlées randomisées pour traiter les troubles paniques sous antidépresseurs et l’état de stress post-traumatique.
Ces exploits, avec d’autres, ont convaincu certains scientifiques de sa scientificité et lui ont permis de soigner des patients en coopérant étroitement avec d'autres spécialités.
La psychanalyse aurait quelque chose d’une science
La méthode utilisée en psychanalyse est une méthode expérimentale, ce qui l’exclue des sciences dites « conjecturales ». La libération de la parole et les résultats auxquels le psychanalyste est parvenu par l’exercice de son savoir-faire donne un prix à la psychanalyse.
Et bien que Sigmund Freud ait espéré que la validité de sa théorie soit vérifiée, bien qu’il ait délaissé nombre de ses théories en cour de pratique et que nombre de ses détracteurs aient douté de la scientificité de la psychanalyse, la contribution de Freud au domaine de la psychologie est irréfutable, pour rejoindre l’avis d’Anna Järvinen, psychologue clinicienne, neuropsychologue et thérapeute de tradition non psychanalytique/psychodynamique.
La psychanalyse est plus communément qualifiée de pré-science pour reprendre le terme de Thomas Kuhn, philosophe des sciences et historien des sciences américaines, au même titre que de multiples procédés et écoles psychologiques.
Freud aspirait à donner à la psychiatrie la base psychologique qui lui manque. C’est dans cette perspective que la psychanalyse cherche à s’intégrer à la psychopathologie, branche de la psychologie qui a pour objet l’étude comparée des processus normaux et pathologiques de la vie psychique. Et c’est en cela qu’elle a acquis plus de scientificité.
Martin Hoffmann, chercheur associé au département de philosophie de l’Université de Hambourg, en Allemagne, s’est prononcé sur la question, dans un article du livre Manual de psychologia da Medicina [la psychanalyse comme science], publié en 2017. Il atteste que dans un sens procédural ou méthodologique, la psychanalyse d’aujourd’hui est incontestablement une science.
Plusieurs méta-analyses ont été effectuées en vue d’étudier l’efficacité de la psychanalyse. La plus récente que l’AFP cite dans l’article La psychanalyse aide t-elle à soigner ?, publié le 18 février 2022 sur Sciences et Avenir, date de l’année 2017. Elle soutient que la thérapie psychodynamique [qualification anglo-saxonne des approches psychanalytiques] est équivalente aux traitements dont l’efficacité est avérée.
À mesure que la question du psychisme soit mieux appréhendée, de nouveaux procédés thérapeutiques ont vu le jour. Ils se sont avérés plus efficaces pour traiter les troubles dont seul la psychanalyse avait le secret. De nos jours, on s’interroge sur la nécessité de continuer à recourir à la psychanalyse. Livia de Picker, psychiatre flamande, parle d’y recourir dans le cas où une thérapie nécessiterait d’être creusée en profondeur. Chez des patients qui rencontreraient des difficultés à cause de leur personnalité ou un traumatisme, par exemple.
Les conquêtes de la psychanalyse au XXIème siècle
Les médecines actuelles ont tendance à biologiser les soins. C'est pourquoi elles donnent très peu de place à la psychanalyse. Cela dit, une majorité de thérapies s’en inspirent, ce, directement ou indirectement. Les notions de transfert/contre-transfert, héritées de la psychanalyse, sont toujours de vigueur. Selon François Caroli, chef de département de psychiatrie au centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, Nous avons recours à d’autres thérapies- familiales, ou de groupe, ou cognitivo-comportementales (TCC) ou autres - en fonction des problèmes à résoudre, mais toutes sont des héritières directes ou indirectes de la théorie freudienne. En réalité, nous avons complètement intégré à notre pratique les données de la psychanalyse.
Certains psychanalystes reconnaissent que la psychanalyse ne traite pas la pathologie organisée, mais pour de nombreux troubles psychiques, elle peut être préventive ou permettre de recouvrer des potentialités déficientes.
Hors du champ du soin, elle offre une connaissance de soi quand, en complémentarité avec d’autres disciplines, elle approfondit et enrichit l’approche thérapeutique en même temps qu’elle améliorer sensiblement l’état des patients. Le psychanalyste Alain Guy l’aurait défini ainsi : Une cure psychanalytique permettrait d’être moins « con » après qu’avant. Par moins « con », j’entends moins captif de ses embarras, de ses conflits. Et, par là, moins un facteur de malheur pour soi-même et les autres. Mais c’est généralement « besogneux » et cela prend des années.
Quant à André Green, psychiatre et psychanalyste français disparu en janvier 2012, il a relevé une tendance de la psychanalyse prometteuse : la psychanalyse scientifique. On s’attache à prendre en considération les variables qui sont contrôlables en délaissant les autres.
Il a aussi rappelé la nécessité de la psychanalyse dans l’appréhension d’une nouvelle forme de pensée : la pensée hypercomplexe, les théories du chaos, la logique de l’indécidable, la pensée de la rétroactivité des conséquences sur les causes.
Dans les hôpitaux psychiatriques, les hôpitaux généraux où l’on s’intéresse de plus en plus au phénomène de la psychosomatique, et dans les prisons où l’on cherche à élucider les motivations d’ordre psychiques qui ont concouru à faire commettre des infractions et des meurtres, l’intervention des psychanalystes est très utile. Avec ces nouveaux champs d’intervention, la psychanalyse est aussi en phase de progression aussi bien sur le plan théorique que pratique. Que du bonheur !