C’était une femme libre, une femme profondément moderne. Une féministe avant l’heure, qui faisait ce qu’elle voulait, quand elle le voulait, avec qui elle voulait. Une femme au style unique, qui allait au-delà des conventions littéraires et s’affirmait dans un monde d’hommes. Une femme aux mille vies, à la fois écrivaine, journaliste, scénariste, conférencière, publicitaire, danseuse, comédienne, mime et vendeuse de cosmétiques. Cette femme, c’était Colette. Retour sur les nombreuses vies d’un monument littéraire, 150 ans après sa naissance.
Sidonie-Gabrielle Colette naît le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye, de l’union du capitaine Jules-Joseph et de Sido. L’atmosphère familiale est loin d’être ordinaire : le capitaine, que Colette perçoit plus comme l’amoureux de sa mère que son père, se rêve écrivain ou homme politique alors qu’il est percepteur d’impôts. Quant à son épouse, elle s’adresse à ses enfants comme à des adultes, dévore des romans dans sa maison « maçonnée de livres », et lit Corneille à la messe.
C’est de Sido, mère mythique dans La Maison de Claudine, que Colette tient son amour pour la littérature. C’est aussi d’elle que Colette tient son anticonformisme. Ayant grandi dans une maison fantasque, où l’on observe la nature et où l’on laisse libre cours à la vie, Colette n’a jamais appris les mœurs de la société, lui permettant de vivre librement et de se réinventer sans cesse.
En janvier 1882, Colette rencontre Henry Gauthier-Villars, dit Willy. Ils se marient le 15 mai 1893 et déménagent à Paris, où Colette rencontre le tout Paris des arts et des lettres. Willy pousse sa femme à écrire ses souvenirs d’écolière de province, et enferme Colette dans une chambre pour qu’elle écrive. Il corrige le style qu’il juge trop lyrique de Claudine à l’école (1900), signé Willy. Le succès est immédiat, la pièce est mise en scène et se voit dériver en multiples produits, du col Claudine aux parfums, jusqu’aux cure-dents. Colette n’est pas Claudine, mais le couple joue de cette double-identité, allant jusqu’à vendre des cartes postales montrant Colette, en tenue de collégienne, soumise à Willy. En 1901, paraît Claudine à Paris, suivi de Claudine en ménage. C’est un succès fulgurant, et Colette est admirée par ses contemporains, touchant à la fois Proust, Gide, Cocteau, et le grand public.
En 1904, Colette écrit le Dialogue de bêtes, son premier livre signé Colette Willy. Son émancipation littéraire coïncide avec son émancipation sexuelle et artistique. Alors que Willy multiplie les conquêtes, elle entretient des relations saphiques avec Jeannie Urquhart, Natalie Clifford Barney et Missy. Le divorce est prononcé en 1909, mais Colette écrit tout de même ses dernières productions pour l’atelier de Willy, Les vrilles de la vigne (1908) et L’Ingénue libertine (1909).
Pour gagner sa vie, Colette se transforme en mime, danseuse, et actrice, ne touchant pas aux droits de ses romans. Elle prend des cours de pantomime, de danse, d’équitation et de boxe, s’affranchissant financièrement et artistiquement de Willy. Elle reprend le contrôle de sa vie, marquée par un besoin profond de liberté.
En 1907, l’écrivaine cause scandale en interprétant un personnage sulfureux et décomplexé dans un mimodrame, Rêve d’Égypte. Avait-elle envie de devenir quelqu’un d’autre ou simplement de s’affranchir ? Seule Colette le sait. C’est à cette époque que sa vie devient source de divertissement pour le grand public, aussi bien que ses livres, contribuant à sa renommée et à la construction d’un mythe. Colette a vécu sa vie comme elle l’entendait, libre de quelconque inhibitions. Elle suivait ses désirs, passant librement d'un genre à un autre, libre de quelconque morale ou religieuse, sans concepts manichéens du « pur » ou de « l’impur », ou du « bien » ou du « mal ». Cette approche profondément moderne a choqué son époque, bien plus que ses relations homosexuelles.
Colette était aussi très moderne dans son approche au genre, très similaire à celle d’aujourd’hui. Elle se sentait homme et femme à la fois, alliant le masculin et le féminin pour créer sa propre identité, bien au-delà des conventions. Dans Les vrilles de la vigne, elle rêve de garder une « âme extraordinaire d'homme intelligent » et à la fois « de femme amoureuse » ; et va jusqu’à viser un « hermaphrodisme mental » dans le Pur et L’Impur. Bien avant le concept de genre neutre, Colette a crée sa propre identité, allant jusqu’à effacer les frontières d’un genre ou d’une appartenance sexuelle. En 1911, elle rencontre son deuxième mari, le baron Henry de Jouvenel, l'un des rédacteurs en chef du Matin, où elle tient une rubrique depuis 1910. Elle tombe enceinte de sa fille, surnommée Bel-Gazou, et devient reporter puis chroniqueuse pendant plus de 39 ans. Lors de la Première Guerre Mondiale, elle devient infirmière et brave la loi pour rejoindre son mari à Verdun. Le mariage se détériore, mais Colette suit Henry en Italie, où elle continue à publier ses romans, menant une double carrière de romancière et de journaliste. Le divorce advient le 6 février 1925, et Colette se rapproche de son beau-fils Bertrand, et noue une liaison avec lui, rappelant ses romans Chéri (1920) et La fin de Chéri (1926).
Colette entreprend également une liaison avec Maurice Goudeket, qui deviendra son troisième mari. La romancière continue d’écrire, devient scénariste et conférencière, se lance dans la publicité, et écrit même le livret de L’Enfant et les sortilèges (1925), un opéra de Ravel. En 1932, l’écrivaine crée un institut de beauté, où elle maquille des célébrités. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle complète ses revenus, écrivant à droite à gauche. Ses livres continuent également à s’accumuler, et en 1944, elle publie son dernier texte romanesque, la nouvelle Gigi, un succès retentissant aux États-Unis avant de s’éteindre le 3 août 1954. Alors que l’Église lui refuse des obsèques religieuses, la République la célèbre par des funérailles nationales, dans la cour du Palais-Royal.
Si Colette fascine toujours, c’est grâce à son style littéraire, inimitable et compris de tous. Alors que des écrivains comme Proust inventent une langue ou un style, Colette capture la vie au plus juste, et souvent au plus court, avec une syntaxe simple et des phrases courtes. Elle considère le monde selon son tempérament et non pas une religion ou une morale. Par ses phrases simples et pourtant si travaillées, elle dévoile toute la complexité humaine. Son œuvre est résolument moderne, proche de la vie, comprise intimement par toutes les générations.
Bien avant l’autofiction -néologisme de Serge Doubrovsky- Colette écrivait à la première personne, décrivait la maison et les paysages oniriques de son enfance, racontait les aventures de Claudine à l'école, sa relation avec Sido, et sa vie de femme mariée à un homme libertin. Aux éléments de vie réels, aux personnages qui ont existé, aux lettres de Sido, Colette ajoutait de la fiction, brouillant les lignes de sa vie et de son imagination.