Praz-delavallade a souhaité clore cette année 2020 sur une note d’espoir en convoquant la couleur sous toutes ses formes. Une exposition collective, où toutes couleurs confondues prennent le pouvoir grâce à la sensibilité et la perception du monde de chacun des artistes invités. Sous une apparente simplicité thématique, appréhender ce sujet nous impose à nous attaquer à un premier problème, celui de l’ambiguïté de cette notion de la couleur. Cette dernière nous apporte des informations sur le monde qui nous entoure et tout en même temps d’un vécu spécifique, autrement dit d’une propriété relationnelle d’une part et d’une expérience subjective d’autre part. Toute la difficulté consiste en cette position bancale et mitoyenne de la couleur.
On a spontanément en tête l’idée que sa perception passerait toujours par le filtre d’une certaine logique à l’œuvre, que les couleurs seraient une affaire personnelle : le daltonien serait un bon exemple du fait que nous ne les percevons pas tous de la même manière puisque dans l’histoire de la philosophie, d’Aristote à Descartes, aux philosophes des Lumières, la couleur a été au centre des discours artistiques desquels émergèrent une conception qui fixa une différence très forte entre les qualités premières (propriétés intrinsèques de l’objet) et les qualités secondes (purement subjectives), dont ferait partie la couleur. On peut néanmoins tenter de dépasser cette opposition entre couleur objective et couleur subjective selon laquelle il existe une disposition permettant la perception de la couleur par l’œil humain : son origine se situerait précisément dans la rencontre entre le regard et l’objet. «La couleur est un monde […] parce qu’elle possède sa propre profondeur, sa vibration et son rayonnement, son rythme, sa manière de s’adresser à nos tonalités affectives, parce qu’elle communique avec d’autres modalités perceptives, elle est une propriété toujours totale.»1 . Cette aventure de la couleur au sein de l’art contemporain depuis le carré blanc de Malevitch, les profondeurs d’un Rothko, la voile blanche d’un Shigeru Ban, l’outrenoir d’un Pierre Soulages ou le bleu IKB de Klein, ont participé à donner une identité forte à chacun de ces créateurs. L’art d’aujourd’hui n’échappe pas à la règle, «Cette soif insatiable de couleur est un besoin naturel, la couleur est une nécessité vitale, une matière première indispensable à la vie, comme l’eau et le feu» proclamait Fernand Léger. L’usage de la couleur devient la projection d’une subjectivité qui tend à déformer la réalité pour inspirer au spectateur une réaction émotionnelle. À chacun de trouver sa propre vérité et d’en voir de toutes les couleurs, «la terre est bleue comme une orange» aimait à rappeler à ses contemporains Paul Eluard.
(René-Julien Praz)