Richard Nonas (*1936, New York) se consacre à la sculpture à partir du début des années 1970, après avoir suivi des cours de littérature et d’anthropologie sociale et passé une dizaine d’années à étudier les Indiens d’Amérique et du Canada.
Nonas décrit ainsi sa façon de travailler : « J’installe chaque sculpture pour rouvrir puis fermer la partie du monde où elle est mise. Je l’installe pour transformer une histoire réelle nouvelle en existence humaine. J’installe ma sculpture pour donner forme au passé changeant. Pour reconnaître la possibilité même de l’histoire dans un monde qui s’enfuit. »
Composé de 37 pièces en acier de même longueur et d’une hauteur variable, Riverrun (from Swerve to Bend) peut être montré de différentes manières : on peut utiliser la totalité des modules ou bien simplement une partie. C’est dire que cette œuvre s’adapte au lieu qui l’accueille et qu’elle reconfigure.
On relie d’emblée cette sculpture à une esthétique minimaliste : simplicité des formes, modularité et répétitivité, saisie de l’œuvre comme un tout — autant de traits attachés à l’art américain des années 1960 que l’on retrouve ici. Elle utilise par ailleurs l’horizontalité de l’espace. Riverrun (from Swerve to Bend) défile sous nos pieds — on peut, on doit même marcher dessus pour l’expérimenter —, elle s’étale au sol d’une manière très précisément construite. C’est là une donnée fortement présente chez des artistes américains de la génération de Nonas, comme Robert Morris, Carl Andre ou Richard Serra. Ce type d’œuvres va à l’encontre de toute l’histoire de la statuaire classique qui proposait des formes érigées, des formes dressées à la verticale autour desquelles le spectateur pouvait tourner. Rien de tel ici : c’est le sol lui-même qui devient le point d’appui davantage que le socle de la sculpture, son territoire exclusif d’apparition.
Il y a une autre histoire possible de cette horizontalité. Marcel Duchamp a sans doute été l’un des tout premiers artistes du 20e siècle à faire des œuvres basses (au sens spatial du terme), des œuvres qui tombent sur le sol (3 Stoppages-étalon, 1913/1914) ou qui sont fixées au sol au point qu’on puisse buter contre elles (Trébuchet, 1917). Dans une veine figurative et surréaliste, Alberto Giacometti explorera lui aussi cette spatialisation horizontale avec sa Femme égorgée (1932), un squelette en bronze posé par terre. Les artistes américains de la génération de Nonas ont élargi cette exploration horizontale de l’espace. Le travail de Nonas lui-même représente un moment significatif de cette exploration qui peut être aussi menée à l’extérieur, dans des paysages naturels.