La Galerie Nathalie Obadia est très honorée de présenter la première exposition de l’artiste italien Gaetano Pesce en Belgique. Né en 1939 à La Spezia, le célèbre architecte-designer est aussi un plasticien inspiré. Depuis le début des années 1960, son œuvre polymorphe se distingue sur la scène artistique internationale par son engagement politique et sa dimension expérimentale auxquels répond une authentique liberté de style.
Pour sa première exposition personnelle à Bruxelles, Gaetano Pesce présente une sélection d’œuvres récentes (2014-2019) qu’il met en perspective avec d’autres plus anciennes (1996-2007), couvrant ainsi plus de vingt années de création. Toutes les œuvres choisies ont en commun d’être conçues en résine polychrome, l’un de ses matériaux de prédilection depuis ses premières expérimentations réalisées au tout début des années 1980.
Quand Gaetano Pesce termine ses études d’architecture à la faculté de Venise en 1965, la discipline est encore largement dominée par le style international de Le Corbusier et de Mies van der Rohe. Cette conception géométrique et froide de l’architecture, étendue aux arts décoratifs depuis les recherches fonctionnalistes du Bauhaus, ne convient pas à Gaetano Pesce qui va tout faire pour s’en écarter. Très tôt, il développe une approche contraire, figurative, poétique et colorée, qui sonne comme une provocation dans une époque qui ne jure que par l’abstraction, le minimalisme ou le monochrome.
Sur cette différence originelle, Gaetano Pesce va construire sa singularité et bâtir son succès. Ce dernier arrive dès 1969, avec le fauteuil Up5, conçu un an après les événements de Mai 1968. Il est le modèle phare de la série des « Up Chairs » qui décline des formes anthropomorphes que l’artiste ne cessera d’utiliser par la suite. « Cette réalisation m’a permis d’exprimer ma vision de la femme. Toujours sédentaire, elle reste malgré elle prisonnière d’elle-même. La forme de ce fauteuil, évoquant les formes généreuses d’une femme, retenue par un boulet au pied, m’a permis de la renvoyer à l’image traditionnelle du prisonnier ». Up5, avec ses courbes baroques et sensuelles, ses formes ludiques recouvertes de tissus aux couleurs vives et joyeuses, se détourne avec humour et ironie du contenu éminemment politique et contestataire à l’origine de sa conception. Ce fauteuil, désormais iconique, qui célèbre ses cinquante cette année, incarne la malicieuse ambiguïté qui anime, depuis toujours, les œuvres de Gaetano Pesce.
Son intérêt constant pour les nouvelles technologies et ses expérimentations multiples sur la matière ont conduit, dès 1983, Gaetano Pesce à créer des œuvres tout en résine colorée et translucide. À la suite des Pratt chairs (1983) et de la collection de mobilier Nobody’s Perfect (2001), il dessine de nouvelles pièces particulièrement poétiques telle que la Lagoon Table (2012), présentée à la Galerie Nathalie Obadia. Cette dernière n’est pas un atoll corallien comme son titre l’indiquerait, mais bien une ode aux eaux qui recouvrent les bancs de sable de la lagune de Venise et que l’on reconnaît, ici en miniature, grâce aux fameux « Ducs d’Albe », ces robustes pieux de bois qui servent de balises au trafic maritime vénitien.
Sont également exposés trois cabinets monumentaux inspirés d’un séjour en Italie en 2006. « Pendant ce voyage, comme toujours, j’ai réfléchi à la façon dont le design ne devait pas se limiter à l’expression pratique de la forme ou de la décoration, mais, au contraire, communiquer les points de vue personnels de l’artiste et, dans le cas présent, sa façon de composer avec l’héritage légué par l’histoire de l’art »1. Celle-ci, revisitée par Gaetano Pesce, donne naissance à trois œuvres spectaculaires : le Mantegna Cabinet (2006) avec ses étagères jouant avec les lettres du plus célèbre des artistes padouans de la Renaissance ; le Palladio Cabinet (2007) en forme de « portait d’étagères » s’inspirant quant à lui des traits du bâtisseur des plus luxueuses villas vénitiennes du XVIème siècle ; et enfin, le Horse Cabinet (2007), transformant la croupe d’un cheval en cabinet à multiples portes pivotantes, et travestissant un détail de la Crucifixion qu’Altichiero da Zevio peint vers 1375 dans l’oratoire San Giorgio, à Padoue. Pour ce dernier cabinet, Gaetano Pesce explique s’être inspiré de l’armoire en tant que « meuble intemporel » et « non prescriptif, en termes de contenus, de techniques et de matériaux » 2.
Hormis les « Skins », étonnantes peintures en résine translucide conçues comme des tableaux indépendants, toutes les œuvres exposées - la table, les cabinets, ou encore les vases d’inspiration organique – peuvent être déclinées jusqu’à cinq versions colorées. En revanche, chacune d’elles est une pièce unique. Cela tient à leur mode de fabrication artisanal. Du dessin original de Gaetano Pesce est réalisé un prototype en bois qui est ensuite transposé en moule en caoutchouc. Une fois la résine teinte – toujours de manière différente - elle est coulée dans le moule et simplement uniformisée à la spatule. Le processus même de fabrication, qui réfute tout geste mécanique et bannit l’idée même de répétition, tire un parti résolument esthétique des imperfections de la matière et des formes, tout comme il fait de l’aléatoire et de l’incertain des contingences artistiques essentielles.
Cette forme de désinvolture formelle et stylistique engendre un univers créatif d’où s’échappent une liberté et une fantaisie peu communes. Après plus de quarante ans de création, et affranchi depuis longtemps de toute convention de style, Gaetano Pesce poursuit sa trajectoire artistique singulière et engagée en menant « une attaque systématique contre les cultures monolithiques et la standardisation, au nom de la libération des différences » 3, ce dont témoigne, avec humour et poésie, les œuvres de l’exposition de la Galerie Nathalie Obadia à Bruxelles.