Les tirages de la série « Remains » de Quayola ainsi que la vidéo « Jardins d’été » explorent une nouvelle façon de représenter le paysage, qui poursuit la tradition picturale des avant-gardes dès la fin du XIXème siècle.
A travers ses scans 3D d’arbres et de végétaux, de fleurs et de feuilles, réalisés dans les Jardins du Château de Chaumont-sur-Loire, l’artiste se fait interprète d’une nouvelle pratique de représentation du paysage dans laquelle sa sensibilité entre en dialogue avec le regard désintéressé et objectif de la machine.
Cette relation d’interdépendance entre l’artiste et l’appareillage technologique s’articule en plusieurs phases : à l’instar d’un peintre de plein air, l’artiste se déplace à travers différents lieux d’intérêt naturel, muni d’outils très sophistiqués qui capturent un maximum de données. Au relief sur place suit un travail photographique d’atelier, une exploration et sélection de la matière numérique que l’artiste a captée dans son lieu d’origine. La matière souvent imparfaite à laquelle le spectateur est confronté est l’étonnant résultat de la rencontre impossible entre une géométrie naturelle très complexe et l’incapacité de la machine à enregistrer cette incommensurabilité.
C’est dans cette fissure qui se situe la recherche de Quayola : dans le défi posé par les limites des machines utilisées pour l’enregistrement des données. Loin de l’hyperréalisme de la culture visuelle contemporaine, tendant au simulacre, les images de Quayola gravitent vers l’abstraction par le biais de leurs erreurs internes. Que révèle cette esthétique du dysfonctionnement sur le rapport du sujet à la nature et au monde ?
Dans « Parallel I-IV » l’artiste Harun Farocki avait préconisé que la réalité cessera bientôt d'être la norme pour juger de l'image imparfaite, et qu’au lieu de cela, l'image virtuelle deviendra le standard à l’aune duquel mesurer les imperfections de la réalité.
Si pour les peintres des jardins modernes, de Monet à Kandinsky, de Matisse à Dufy, l’observation de la nature était une action paisible et désintéressée, aujourd’hui ce détachement est compromis par le nouveau paradigme de l’Anthropocène.
Dans cette histoire de la Terre qui serait marquée par l'avènement de l'espèce humaine en tant que force géologique qui a amené des changements irréversibles, « la nature ne serait plus ce qui est embrassé d'un point de vue lointain où l'observateur pourrait idéalement sauter pour voir les choses comme un tout, mais l'assemblage d'entités contradictoires qui doivent être composées ensemble » (Bruno Latour, Waiting for Gaia, 2011).
Depuis des siècles la littérature et la philosophie ont insisté sur la différence ontologique entre les deux pôles de l’humain et du non-humain, de la nature et du sujet essayant de la connaître et de la dominer : cette distance infranchissable rendait possible le sentiment du sublime.
Qu’en est-il du sublime au temps de l’Anthropocène ? Comment représenter cette nature qui n’est plus incommensurable, si, comme l’observe Hans Blumenberg, « il n’y a plus de spectateur » dans ce naufrage où la vie sur terre semble en jeu ?
Dans la phase de création des images, l’appareillage numérique de Quayola ne fait qu’enregistrer des points. Ensuite, dans l’atelier, l’artiste explore et sélectionne les différentes agrégations des éléments enregistrés. C’est justement à partir de cette idée d’assemblage qu’il faudra penser, comprendre et représenter le monde : comme une composition inédite et hybride de nature, culture, sujets et objets, humains et non-humains.
Pour nous adapter à ce nouveau monde, nous allons avoir besoin d’idées nouvelles, de nouveaux mythes, d'une nouvelle emprise conceptuelle sur la réalité, et donc d'une nouvelle façon de la représenter.
Dans cette « survie collaborative », nous nécessitons d’un monde, où « les faits scientifiques et les narrations spéculatives auront besoin les un des autres » (Donna Haraway, Staying with the trouble, 2016), un monde où les données n’auront du sens qu’à travers le filtre de l’art et de la sensibilité humaine et où les nouvelles esthétiques nous aideront à définir la réalité.
Texte de Valentina Peri