Dans son travail aux modes opératoires divers, Alexandre Lavet réfléchit notamment à la perception de l’oeuvre d’art et de l’espace d’exposition. Considéré dans la spécificité de ses fonctions, l’espace d’exposition est un élément essentiel dans la pratique de l’artiste. Qu’elles s’expriment sous forme de photographies, d’installations ou de sculptures, les subtiles interventions d’Alexandre Lavet invitent le spectateur à contempler l’espace d’exposition en questionnant l’oeuvre d’art et le rôle de l’espace dans lequel elle s’intègre.
Par exemple, la série évolutive Vides, présentée à la galerie en novembre 2016, se compose de photos d’expositions issues d’internet dont les oeuvres ont été effacées numériquement. Grâce à l’absence d’oeuvres, Alexandre Lavet renverse les rôles, en opérant une mise en lumière de l’autonomie du « White Cube » traditionnellement caractérisé par une neutralité forcée au service de l’oeuvre dans le but d’en sublimer non seulement sa fonction mais également son potentiel “esthétique”. Pour la série Les oubliés, un corpus d’objets de formes très variées que l’artiste distille dans l’espace, les oeuvres font écho à des détails ordinaires ou insignifiants rencontrés dans des lieux d’exposition. Une fois repérés, ces objets questionnent le spectateur en lui offrant un regard nouveau sur les détails et histoires du lieu qu’il visite.
Les titres de ses travaux marquent aussi une forte connexion au langage, comme le rappelle également celui de la présente exposition. Alexandre Lavet emprunte ici à Herman Melville la célèbre phrase « I would prefer not to » prononcée par Bartleby, protagoniste de la nouvelle éponyme parue en 1853. L’auteur du plus connu Moby Dick met ici en scène un clerc et son collaborateur chargé de copier des actes dans une firme de Wall Street. Au fil du temps cet employé consciencieux et dévoué, révèle un autre aspect de sa personnalité, rétorquant un jour à son patron lui demandant de collationner un document, « I would prefer not to », c’est-à-dire littéralement « je préférerais ne pas (le faire) ». Cette formule, qui reviendra systématiquement dans sa bouche à toute demande de suggestion, détruit toute possibilité de construire une relation entre le pouvoir et la volonté. Une formule de l’ambiguïté, puisqu’elle n’oppose pas un refus, un « non » pur et simple, mais laisse la possibilité du oui et du non. Ainsi, pour Philippe Jaworski, « Bartleby, c’est le merveilleux mystère d’une parole qui dit en même temps presque oui et presque non »
Transposée dans le cadre de l’exposition, on pourrait y voir une référence symbolique aux attentes du galeriste et des visiteurs concernant le rôle aujourd’hui attribué à l’artiste censé s’approprier par son intervention le lieu d’exposition. I would prefer not to offre une double lecture, entre d’un côté le refus apparent de faire oeuvre et de l’autre la présence d’une forme prônant l’idée du repos et de la procrastination comme issue créatrice.
Et si cette “carte blanche” devait avec un brin de moquerie se révéler être un éloge de l’oisiveté dans le sens de Bertrand Russel ou dans sa signification originelle de l’otium latin loué par Sénèque? Le philosophe britannique conteste le culte irraisonné de l’homme amené à travailler toujours plus, ce à quoi il prône de mettre un terme afin de consacrer plus de temps au loisir. La vision stoïcienne, quant à elle, entreprend une apologie du repos et de la contemplation car elle permet d’être utile aux autres en ceci qu’on se met en état de leur être utile. Ces prémices philosophiques, unies au respect engagé vers une économie de moyens visant toujours à privilégier l’idée sur la réalisation, nous donnent un avant-goût de la proposition d’Alexandre Lavet pour le deuxième volet du PBProject.
Alexandre Lavet (né en 1988 à Clermont-Ferrand) vit et travaille à Bruxelles. Il est diplômé de l’ESACM, Clermont-Ferrand et représenté par la galerie Dürst Britt & Mayhew. Ses expositions récentes incluent «La Cigarette n’a pas le même goût au Soleil», Dürst Britt & Mayhew, La Haye (2016), «Déformation professionnelle», Galerie Paris-Beijing, Paris (2016) «Run Run Run» with Clovis XV, Villa Arson, Nice (2016). En septembre 2018, une exposition personnelle de son travail sera présentée au Centre d’Art La Passerelle à Brest.