Le travail de Noémie Goudal explore le rapport de la nature à l’artificiel, de la science à l’imaginaire, du construit à l’inventé. À travers ses œuvres, elle questionne le paysage sous différents angles, comme une édification du regard. Fascinée par la relation entre un paysage physique et sa construction mentale, elle joue de ce qu’elle représente et de ce qu’elle a représenté historiquement dans l’imaginaire collectif. Une partie de l’œuvre de l’artiste se compose de larges installations et sculptures qu’elle fabrique de toutes pièces et photographie in situ créant ainsi des « espaces autres », comme ceux décrit par le philosophe Michel Foucault. La réunion d’espaces fictionnels et d’espace géographiques fabrique des « hétérotopies », lieux concrets qui hébergent l’imaginaire.
Un nouveau pan du travail de Noémie Goudal commence en 2015 avec la série des Southern Light Stations qui s’inspire des multiples interprétations du paysage à travers l’histoire, en particulier l’histoire des sciences. Utilisant la forme sphérique comme point de départ, symbole de perfection et d’infinité, elle construit des installations monumentales faites de matériaux pauvres tels que le papier et le bois. Suspendues dans le ciel, surplombant des points de vus élevés ou prenant place dans des lieux isolés, les structures tendent à questionner notre perception de l’intangible nature de la voûte céleste telle qu’elle a été perçue à travers les siècles. Ces images s’inspirent des cosmogonies anciennes et des interprétations du paysage céleste, à partir de l’antiquité où l’on percevait le ciel comme un espace clos jusqu’à la Renaissance, moment de l’histoire de l’astronomie où l’on découvre que le ciel n’est pas un espace immuable. Cette évolution, essentielle pour les sciences et les religions, change aussi radicalement l’histoire de la perception et donc de la représentation. De ces recherches résulte une nouvelle dimension performative dans le travail de Noémie Goudal : avec les Stations VIII, IX et X, un triptyque inédit présenté dans l’exposition, elle met en place des dispositifs plus complexes (notamment la désagrégation de l’image imprimée sur du papier hydrosoluble) de manière à rendre palpable l’évolution temporelle de la disparition d’un corps céleste. Inspiré par la découverte en 1572 de l’astronome Tycho Brahe du caractère éphémère d’une étoile, ce triptyque évoque ainsi le changement des spéculations et aspirations humaines qui s’articulent autour des cieux : le ciel fixe de l’« ordre » antique, cosmos en grec, devient un ciel chaotique et mouvementé où les dieux ne trouvent plus leur place. Comme une performance en temps réel, les trois photographies explorent les chorégraphies du paysage en perpétuelle transition.
Dans son nouveau corpus, Telluris, l’artiste exploite les théories anciennes de la formation du relief de la terre, en particulier des montagnes, qui font écho aux théories de la voûte céleste. Elle s’intéresse particulièrement aux thèses de mathématisation et géométrisation radicale du paysage qui permettraient de mieux l’appréhender et le comprendre. En parallèle, la lecture du roman philosophique Le Mont analogue de René Daumal, dans lequel les héros partent à la recherche d’une montagne inconnue, nourrit ces recherches. Avec la création d’un ensemble réunissant photographie et installation in situ, Noémie Goudal explore et décline les espaces de montagnes, ce qu’ils représentent et ce qu’ils inspirent, entre géographie réelle et projection subjective. De grandes installations de bois sont photographiées dans un paysage aride et désertique ; telles des charpentes de bâtiments, inspirées des architectures de « montagnes artificielles », elles évoquent les formes de montagnes sacrées et apparaissent comme des « squelettes » d’un relief en voie de construction. Pour la première fois, Noémie Goudal fait sortir l’installation de la photographie et lui fait envahir l’espace de la galerie. Les cubes de bois brut emplissent l’espace, semblant se multiplier dans un éboulis, et dialoguent avec les photographies en noir et blanc.
À travers cette nouvelle exposition, les photographies et installations de Noémie Goudal offrent au paysage de nouvelles perspectives, inspirées d’un voyage dans l’histoire des sciences et de la perception. Elles explorent des espaces terrestres et célestes de manière immersive, brouillant à dessein les frontières entre le réel et l’inventé.