Une galerie grandit au fil des années et parallèlement, ses artistes développent leurs carrières. Il devient alors de plus en plus difficile pour le galeriste d’exercer son rôle de défricheur, voir de découvreur. Pourtant, comme le démontre sa programmation depuis 2014, la Galerie Paris-Beijing reste désireuse de continuer à faire découvrir toute une nouvelle génération de jeunes artistes et de continuer de les accompagner dans leur développement.
C’est pourquoi, dès la rentrée 2017, la galerie consacrera un espace d’exposition de 50 m2 exclusivement dédié à la programmation, au soutien et à l’accompagnement de la jeune création. Cet espace, ouvert à toutes les pratiques plasticiennes, offrira carte blanche, au rythme de six expositions annuelles, à de jeunes artistes désireux d’exposer à Paris.
Pour inaugurer le PBProject, Léa Belooussovitch présentera sa dernière série de dessins sur feutre. Basés sur un profond questionnement sur le statut de l’image, elle interprète des images de presse qu’elle glane puis transforme questionnant ainsi la perception et la compréhension de l’information au travers de son illustration.
Les photographes de guerre ou les journalistes de terrain nous renvoient quotidiennement des preuves tangibles des drames qui surviennent aux quatre coins du monde. Sans parfois chercher à comprendre précisément ce que ces images racontent, où elles ont été prises et quand, nos yeux, devenus quasi insensibles, semblent s’être égarés dans une habitude visuelle.
Nos rapports aux moyens de communication, à l’Histoire vue par les médias, les faits divers, l’archive, et l’information sont au coeur du travail de Léa Belooussovitch. Dans la série de dessins sur feutre présentée à la Galerie Paris-Beijing, elle transpose de manière voilée diverses images diffusées sur internet ou publiées dans la presse écrite, d’évènements dramatiques de notre histoire contemporaine, comme l’explosion d’un bus piégé en Somalie, une fusillade au Bangladesh, un attentat au Pakistan ou une boîte de nuit devenue cible d’une attaque à Istanbul.
Les silhouettes d’hommes et de femmes, dans une situation précaire, sont délicatement reconstituées par un travail aux crayons de couleurs directement appliqués sur la surface blanche, lisse et rassurante d’une large pièce de feutre. Le dessin généré crée un flou qui atténue les formes, par le mélange des pigments à la fibre textile. La mise au point est ainsi rendue impossible par la propriété du feutre d’emprisonner les couleurs des crayons.
Un travail préalable de recadrage sur la partie centrale de l’action de la photographie d’origine brouille d’autant plus les pistes, laissant sa composition originelle à peine reconnaissable. Certains indices aident cependant le regard à rétablir une scène narrative à partir de l’abstraction, encourageant l’oeil et le cerveau à tenter de reconstituer une image. Le support, transformé par le passage du crayon, acquiert du volume et permet au dessin de prendre une dimension sculpturale.
Rémanences évoque le phénomène par lequel une empreinte visuelle subsiste après disparition de l’excitation objective d’origine. En psychologie, on utilise ce terme de persistance rétinienne pour décrire le fonctionnement de la vision attribuant à l’oeil une image rémanente durant 1⁄25ème de seconde sur la rétine: «Si après avoir regardé pendant un certain temps un objet coloré, on ferme les yeux en les couvrant aussitôt d’un mouchoir sur lequel on applique les deux mains, on verra bientôt apparaître une image d’une couleur complémentaire de celle de l’objet ».*
De la même façon, dans le processus de création de Léa Belooussovitch la vue s’imprègne du cliché et au moment où le regard se tourne vers le feutre vierge, le geste est porté par la mémoire persistante des formes, de la composition et des couleurs.
Le dessin reprend l’image journalistique nette, aux couleurs vives capturant sur le champ et sans aucun détour la souffrance extrême des individus. L’information visuelle provenant du médium photographique est ainsi rendue plus tolérable par le biais de sa transcription manuelle. L’image apparait comme évanescente, tel un fantôme, devenant l’empreinte de sa source dans nos mémoires. Son pouvoir est pourtant là, dans cette retranscription intime d’un récit d’une brutalité telle qu’elle empêcherait le regard de s’attarder. C’est justement cet écart entre le référent et le référé que met en avant le travail, cette distance qui nous en éloigne tout en étant proche physiquement de l’oeuvre.
Touchant à une esthétique de la disparition, les oeuvres de Léa Belooussovitch nous interrogent sur notre rapport à la violence, notamment des images, liées aux faits de société et mettent en lumière la vulnérabilité d’un moment précis, rendant compte d’une forte humanité .
Joseph Beuys avait utilisé le feutre comme matériau symbolisant la sécurité et le refuge. Pour Léa, le choix de ce textile qui isole du froid et du bruit, rappelant l’enveloppement des couvertures de survie, sert le propos: il suggère une empathie de l’artiste avec ses sujets comme si elle était portée par un instinct de protection.
Plasticienne née à Paris en 1989, elle vit et travaille à Bruxelles. Après l’obtention d’un master en dessin à l’ENSAV La Cambre en 2014, elle décroche la même année le Prix et la résidence Moonens, suivi en 2015-2016 d’une résidence à la Fondation du Carrefour des Arts à Bruxelles. Elle est nommée pour l’édition 2016 du Prix Révélations Emerige et remporte le prix COCOF à la Médiatine à Bruxelles début 2017. Elle est lauréate de la bourse COCOF de la Maac de Bruxelles en 2017, lui permettant de bénéficier d’une résidence et d’une exposition personnelle. Au mois de Novembre prochain elle sera en résidence à Bandjoun Station, un projet artistique crée par l’artiste Barthelemy Toguo au Cameroun. Elle est membre du collectif FRICHE basé à Bruxelles, qui organise des résidences et des expositions dans des lieux abandonnés.