Pour sa nouvelle exposition à la galerie Praz-Delavallade, Nathan Mabry explore de manière subtile les rapports étroits entre l’ethos, les tropes et les postulats de l’histoire de l’art. En plus des qualités énigmatiques et mystiques de ses oeuvres, l’artiste prend en compte certaines notions comme celles du fait-main et de l’objet trouvé ou détourné.
Pour Relief (Mask), nouvelle série de sculptures murales, Mabry s’est inspiré de la culture et des rites Bedu pour créer trois masques de bois et de terre : scindés en deux, les motifs sont disposés et superposés avec la plus grande attention, multipliant les références à la géométrie et l’abstraction. Chaque masque est façonné d’après un artefact présent dans l’atelier de l’artiste. Les traces du travail de modelage ont été volontairement laissées visibles, ce qui donne l’impression que la terre reste malléable. Ensuite, chaque masque reçoit une couche d’apprêt industriel, avant que l’artiste ne frotte la surface avec une herbe renommée pour ses qualités médicinales et magiques. Cette étape est un clin d’oeil au mythe originel de la société Bedu dans lequel un homme cherchant des plantes médicinales dans la brousse pour soigner son fils malade, découvre une créature mythique. De surcroît, ces masques mettent en lumière l’influence de la culture et des arts ethnographiques sur le modernisme et la diffusion du colonialisme puis du tourisme de masse. Les masques affichent un esprit cubiste et, avec leur couronne faite d’une fleur solaire, ressemblent presque à des vases.
Bouquet est un ensemble de cinq dessins réalisés au crayon graphite. Leurs motifs sont à la fois audacieux, graphiques voire organiques. Chacun figure une partie d’une nature morte célèbre et vénérée par l’artiste — rétrospectivement de Redon, Monet, Degas, Van Gogh et Ruysch. Mabry a réinterprété et transformé l’oeuvre originale à l’aide de son crayon noir. Il a également modifié le point focal de l’image, qu’il a ensuite agrandi et recadré en préservant une infime partie de chaque vase présent dans la peinture originale. A l’instar d’un papier peint fleuri, cette iconographie florale suscite chez le spectateur un sentiment de familiarité et une sensation ludique. Une mouche, ajoutée par l’artiste quelque part dans la composition, joue le rôle du pollinisateur et ainsi, au milieu de la fleur, favorise la reproduction et transporte le pollen à l’origine de la vie à venir. Il y a une notion de memento mori, car ces dessins nous rappellent la fragilité des fleurs dont le destin les voue à être coupées et placées dans un vase — et évoquent donc par extension la fragilité de notre propre vie.
The Nostalgia of the Infinite (Le Cyclope) est la dernière oeuvre d’une série récente dans laquelle Mabry revisite les sculptures en métal iconiques des modernistes du milieu du XXe siècle, en y ajoutant une touche surréaliste et en mêlant les notions du passé et du présent. Cette pièce a l’air d’un glype ancien, où par le plus grand des hasards un hibou grand-duc se serait perché. Ce moment éphémère est saisi pour l’éternité. L’origine de la structure de la sculpture trouve son origine dans The Circle (1962), une abstraction géométrique de David Smith qui n’est pas sans rappeler, d’un point de vue esthétique, les masques ou la représentation du ciel du peuple Bedu. Mabry modifie l’original pour mettre en valeur un aspect figuratif. A la fois un masque borgne, un hibou perché et les lettres d’une police qui écrivent OWL (hibou en anglais), l’oeuvre évoque également Picasso et Miro parmi d’autres influences cubistes et constructivistes. Chasseur nocturne, le hibou avec son regard perçant qui scrute le lointain, est l’archétype de la sagesse. Pendant que le spectateur tente de localiser le regard de l’oiseau, la qualité géométrique figurative de la sculpture faite de plaques métalliques se révèle davantage. Engageant le spectateur dans un jeu de textures et de formes, The Nostalgia of the Infinite (Le Cyclope) revisite un récit antique connu pour révéler de nouveaux mythes.
Feels (Ghost) sont les premières oeuvres textiles de Mabry. Chaque pièce, accrochée au mur et accompagnée d’un feston en feutre de laine, instaure un dialogue avec les oeuvres de Lucio Fontana, Robert Morris ou encore Louise Bourgeois. La forme se veut une interprétation à plus grande échelle des découpages de Matisse. Ainsi les oeuvres adressent les pratiques de l’histoire de l’art, notamment la sacralisation de certaines approches. Au premier abord se dégage du lin une impression de fantômes et de visages, réinterprétant ainsi un motif bien connu du romanticisme spirituel.
Nathan Mabry est titulaire d’un BFA du Kansas City Art Institute (2001) et d’un MFA de l’University of California, Los Angeles (2004). Son travail a été exposé à de nombreuses occasions, dont une exposition personnelle au Nasher Sculpture Center (Dallas) en 2013; Thief Among Thieves (MOCA, Denver) en 2015; Red Eye: Los Angeles Artists from the Rubell Family Collection (Rubell Family Collection, Miami) en 2006 et Thing: New Sculpture from Los Angeles (Hammer Museum, Los Angeles) en 2005. Les oeuvres de Mabry font partie des collections du Hammer Museum (Los Angeles); LACMA (Los Angeles); Orange County Museum of Art (Newport Beach); MOCA (San Diego); Phoenix Museum of Art (Phoenix); Dallas Museum of Art (Dallas); Nasher Sculpture Center (Dallas); Nelson-Atkins Museum of Art (Kansas City); Whitney Museum of American Art (New York) ; ainsi que des collections privées telles que 176 / Zabludowicz Collection (Londres); The Rubell Family Collection, (Miami) et le Vanhaerents Art Museum (Bruxelles). Nathan Mabry né en 1978, vit et travaille à Los Angeles.