Atlas réunit les tous derniers travaux d’Antoine d’Agata. Cette exposition s’entend comme le maillon d’une entreprise cinématographique et artistique commencée en 2013 par la sortie du film Atlas. Une installation (White noise) pensée à partir de ce film est d’ailleurs exposée à LaBanque dans l’exposition Dépenses (commissariat Léa Bismuth). De ce projet, Antoine d’Agata a également conçu un livre du même nom, dont la sortie est prévue pour le mois d’octobre aux Editions Textuel. La dernière série « Paradigmes » présentée à la galerie fait quant à elle état d’une nouvelle approche formelle à la frontière du photographique et du filmique.
Atlas est d’abord un voyage, l’enregistrement des obsessions et des expériences sensorielles de l’artiste. De continents en continents, Antoine d’Agata documente ainsi une histoire anxiogène et trouble, celle des prostituées rencontrées et des lieux visités. Il extrait de ses nuits « ses réalités sombres » et la « satisfaction destructrice du désir ».
« Au sein des chronologies et accumulations qui constituent Atlas et Paradigmes, les certitudes s'effondrent et la réalité se défait sous forme de séquences de vie fragmentées. Je suis attiré par la part sombre et cachée du monde, par son caractère maudit ou tabou. Sous l'influence préméditée de désordres sexuels et narcotiques, je me compromets, physiquement et mentalement. L'addiction aux substances chimiques est le principe actif de ma capacité à réinventer constamment mon propre destin, mon regard et mes gestes à travers l'action photographique».
Chez Antoine d’Agata, si au départ l’expérience prime effectivement sur le concept, la formalisation s’illustre ici par la mise en place d’une imagerie morcelée et d’un ensemble volontairement fragmenté. A partir du désordre, Antoine d’Agata établit un système ordonné et séquentiel. L’anarchie existentielle des sujets et des lieux devient alors une « grille », un ensemble de lignes et de colonnes dont la forme, apparemment simple, joue pourtant avec la confusion des sens et la répétition obsessionnelle. La saturation et l’excès d’images que l’artiste examine comme une fatalité chargent ses œuvres d’une évidente impertinence esthétique. Le parti pris de l’accumulation n’est pas sans évoquer les essais scientifiques de Muybridge. Les chevaux au galop sont ici troqués contre le sexe d’une femme se masturbant, une sorte de chronopornographie justifiée par la nécessité « d’enregistrer l'intensité de l'événement, des séquences d’existence ». Les lieux deviennent également les motifs répétés suggérant le pire : la noirceur d’une forêt (Selva), les pavillons fantômes et délabrés de Fukushima.
Avec ce flux systématique d’images, d’Agata propose un nouveau langage, telle une stratégie d’assemblage qui consiste à réunir les fragments de ses propres expériences. Le dynamisme de la composition, que l’on ressent aussi ardent que l’instant vécu, est formalisé par l’artiste après coup, images par images, se laissant ainsi la pleine expérience du moment. Cette répétition extrême, en poussant le motif vers l’abstraction, fournit néanmoins au spectateur une distanciation visuelle. Le processus d’obtention des images qu’il juge acceptables nécessite d’abord un refus temporaire de contrôler l’action :
« Je me perds et ne peux que perdre le contrôle, et ma raison même, mais cette perte est voulue, parce que grâce à cette fragilité, je n'ai jamais été plus proche de ce que je considèrerais comme une pratique artistique valide. La mise en pratique de ce qui ne pourrait être qu'une croyance idéologique me permet d'établir une perspective propre.
La chimie fait son chemin, du sang jusqu'à la viande et au cerveau, dessine les gestes, les émotions, les pensées, efface les doutes et les craintes, augmente et exagère ma conscience du contexte, jusqu'à la folie. Je me laisse briser par les mouvements de la vie, je n'ai de cesse d'agir à partir de la certitude théorique que chaque geste trace un avenir possible, une sensation en devenir. Chaque situation conçue, provoquée, vécue est un coup porté à la tentation de céder au confort, dans la guerre impossible que je mène contre moi-même, contre l'épuisement du corps inéluctable. »
Contre lui-même. En effet Antoine d’Agata ne cherche pas à montrer le monde et son état, il nous livre au contraire le sien, celui qu’il explore. Le titre retenu pour cette série (Paradigmes), intégrée au corpus plus large qui compose Atlas, fait état de ces univers qu’il traverse et reconstruit. Ces images sont donc des nouvelles tentatives de représentations, dans lesquelles l’artiste s’efforce d’écarter une partie des règles et présupposés photographiques (arrangements, compositions…). En ce sens oui, la proposition est paradigmatique.
« Dans mes œuvres les plus récentes, j’essaie de forger un langage secret, illégal, construit en déconstruisant l'esthétique. Mon intention est de pervertir et détruire les perspectives qui polluent les normes du langage photographique. »