« En s’emparant de fragments urbains d’affiches lacérées, Jacques Villeglé accomplit une histoire graphique et politique de la rue. Cette démarche apparemment simple, ou qui tout au moins se résume en un geste exclusif, permet de poser toutes sortes de questions quant au statut de l’objet-peinture(…).
Etant donné le support qu’elle emploie, elle a d’évidence une portée socio-politique, à commencer par l’acte d’arrachage lui-même consistant à braver un interdit. Sur le plan artistique, elle reflète les systèmes graphiques et les chartes chromatiques des affiches de propagande ou de publicité dans les époques successives de ces arrachages. Elle assure aussi à son initiateur une liberté totale, sans l’enfermer dans une manière unique dont il n’oserait s’écarter au risque de ne plus être identifié(…).
La rubrique Graffiti et son complément avec les Drippings ont une particularité qui les distingue de toutes les autres familles identifiées par Villeglé pour caractériser sa démarche. C’est qu’en effet un autre individu intervient postérieurement au «Lacéré Anonyme» pour constituer ce qui va devenir une oeuvre signée Villeglé. Ce dernier recadre une section d’affichage constituée de couches de papier superposées, par la suite triturées par des mains anonymes qui sont venues en déchirer des fragments, en lacérer d’autres, etc. Mais une action supplémentaire est venue s’interposer, une troisième main en quelque sorte : celle consistant à caviarder la surface ou à y inscrire slogans, injures et sigles politiques.»
Pour la septième exposition personnelle de l’artiste à la galerie, nous explorerons cette année le thème des Graffiti Politiques, série parmi les plus picturales de l’artiste – parfois même abstraites -, et également paradoxalement parmi les plus représentatives de l’histoire de notre société par le témoignage historique que véhiculent la plupart des affiches.
Dès les années 30, Brassaï, pas encore photographe mais déjà « flâneur » invétéré, observe et note les traces d’une société en pleine transformation dont il adore explorer les recoins les plus obscurs ; « il traque les terrains vagues, lieux de prédilection des amoureux et des enfants, qui laissent sur les murs les signes de leur amour et de leurs jeux ; il observe les immeubles en démolition à la recherche des limbes d’une vie abandonnée par les anciens habitants, suit avec curiosité le cheminement noirci des conduits de cheminées, mais surtout, tel un chasseur de papillons pour qui la quête d’une vie fragile et fugace demeure tout autant un principe scientifique que philosophique, il va débusquer pendant près de quarante ans les graffiti parisiens.» Très rapidement, Brassaï se rend compte que ses notes et dessins ne peuvent suffire à montrer le caractère éphémère des graffiti, et décide de fixer leur image grâce à la photographie.
Pendant plus de 20 ans, il collecte ainsi des dizaines d’images pour lesquelles il met très rapidement au point un système de classement très précis dont il fixe l’ordre et la dénomination : propositions du mur, le langage du mur, la naissance de l’homme, masques et visages, les animaux, l’amour, la mort, la magie, images primitives. Et ce véritable catalogue raisonné d’un art pariétal surgi de l’intimité obscure de la cité constitue l’un des chapitres majeurs de l’oeuvre de Brassaï.
Les similitudes du travail de cadrage, du système de classement et de captation, de la flânerie comme méthode, avec l’approche de Villeglé - le «Lacéré Anonyme» -, sont si évidentes qu’elles n’ont fait que renforcer notre désir de confronter les photographies noir et blanc de Brassaï et les affiches lacérées aux couleurs vives de Villeglé, au delà de la thématique commune des Graffiti.