Mise au point dès 1949 et brevetée par Edward Seymour en 1951, la bombe aérosol devient, une dizaine d’années plus tard (autour de 1963), un medium privilégié pour les artistes. Deux d’entre eux notamment, Martin Barré et Gérard Zlotykamien, s’emparent de ce nouvel outil. Leurs deux pratiques réellement différentes creusent un sillon encore opérant aujourd'hui. C'est autour de ces deux approches que se construit cette exposition.

D'un côté Martin Barré, en devancier, utilise la bombe aérosol comme « ustensile aussi commun qu’un insecticide qui est à la fois le pinceau, la peinture et le récipient qui la contient », comme il le confiait à Catherine Lawless dans Les cahiers du musée national d’art moderne. Ainsi le spray fait-il irruption dans le monde feutré des Beaux-Arts. Aussitôt, nombreux sont les artistes qui intègrent ce nouvel outil à leur pratique picturale. On citera ici Kimber Smith ou bien encore Jean Degottex et Hans Hartung, pour lesquels la diffusion de la peinture au spray sert à créer des espaces ouverts et métaphysiques. Et pour clore ce chapitre, qui aurait pu s'appeler « De la bombe aérosol considérée comme l’un des Beaux-Arts », Thibault Hazelzet dévoile sous la verrière deux grandes fresques de sa série Méduse (2017), déployant dans l’espace la spontanéité et la légèreté que lui octroie la technique de la bombe.

Selon une conception et une approche totalement différentes, contemporaines de celles de Martin Barré, la bombe devient en 1963 pour Gérard Zlotykamien un médium à part entière. Sa pratique s'inscrit dans le sillage du graffiti (après Dubuffet et Brassaï) et elle donnera par la suite naissance à l'art urbain. Mais le geste de Zlotykamien ne nait pas uniquement d'une pulsion scripturale, elle exprime aussi un trauma. Celui des camps. Les figures que l'artiste appelle « les éphémères », qui surgissent sur les murs sous l'action du spray, ne sont pas sans lien avec les bombages de Testumi Kudo (Fossil in Hiroshima, 1976), traumatisé par le souffle nucléaire qui balaya Hiroshima et Nagasaki, ou bien avec ceux de l'Anglais Roy Adzak (qui était d'ailleurs comme Kudo fasciné par les fossiles). Quant aux polystyrènes créés par Anita Molinero, c'est à un autre souffle qu’ils ont été soumis : celui du feu et de la morsure chimique avant que d'être à leur tour bombé de couleurs vives voire criardes (Croûûûte criarde saison rose, 2021).

Comme une tentative de réunir ces deux voies que nous avions voulues divergentes, trois artistes proposent enfin d’intégrer le tag dans leur art : Stéphane Couturier, qui arpente les villes pour photographier les chantiers marqués par les tags dans ses images d’Archéologies urbaines (Paris - Eole - 1, 1996) ; Michel Dector, qui revient à la peinture après avoir privilégié un art performatif en duo dans l’espace public, sans n’y avoir pourtant jamais utilisé la bombe, voit dans son utilisation le moyen de « faire rentrer la rue dans l’espace personnel » de ses toiles (Sans titre, 2021) ; et Pablo Tomek, qui use de l’aérosol depuis ses débuts, s’exerçant d’abord sur les murs des villes et des banlieues qui l'entourent, fidèle au « geste de la contamination », pour faire entrer le tag dans sa peinture même. Jouant avec les codes du groupe Support-Surface ou l'héritage de Simon Hantaï, sa série Plié-Déplié leur rend aujourd’hui un magnifique hommage (MEA-plié déplié-Diam's, 2024).