La galerie Perrotin est heureuse de présenter Focus, une nouvelle initiative dédiée aux projets spéciaux et aux présentations thématiques. Localisé dans notre galerie au 2bis Avenue Matignon, Focus offre un cadre intime aux artistes pour explorer des récits courts, expérimentaux ou profondément personnels. Les visiteurs peuvent découvrir des accrochages mettant en lumière un aspect unique de la pratique d'un artiste au-delà des grandes expositions.
L'exposition inaugurale de Focus accueille une série poétique de Lionel Estève intitulée Un hiver à Athènes. Par de délicates broderies sur des pièces de soie blanche, l'artiste documente ses déambulations dans la ville d'Athènes, capturant les impressions fugaces des paysages, des textures et des rythmes de la ville.
Hazard ou chance ? Sans aucun doute, quelque chose d’incertain et d’aléatoire. Il a fallu une suite d’événements fortuits et un peu d’espoir pour en arriver là. Il n’est pas question ici de grands événements. Comme souvent, il s’agit de faisceaux convergents où plusieurs idées se croisent, plusieurs désirs.
À l’atelier, il me restait d’un projet précédent une grande chute d’organza de soie naturelle. Sa légèreté, sa souplesse, sa transparence m’attiraient et j’espérais qu’il puisse devenir le support de quelque chose. C’était une intuition, comme il y en a tant lorsque l’on travaille. Alors, j’ai demandé à Hossein, mon voisin couturier, de faire une sorte de prototype, comme un foulard.
J’ai été stupéfait par la délicatesse de ce qu’il me restitua. C’était un petit foulard transparent, plus ou moins rectangulaire, avec un ourlet sur les bords, un peu ondoyant, une sorte de lazy line. On ne peut pas non plus parler de maladresse. Rien n’était feint ni joué. Je trouvais qu’à lui seul, ce simple morceau de soie exprimait tellement de douceur et de finesse, comme une sorte de perfection qui semblait attendre un geste.
La difficulté était de faire ce geste sans rompre cet équilibre et de ne rien alourdir pour garder la sensibilité initiale. Il fallait presque que j’agisse avec discrétion. Je décidai de déposer du fil de couleur dessus, le laisser courir en le piquant à peine de temps à autre pour le fixer. Ce procédé me semblait à la fois suffisant et juste assez.
J’étais aussi attiré par l’idée de produire une œuvre qui puisse s’inscrire dans un quotidien, qui soit dans la vie, qui puisse s’emmener avec soi. Je pouvais me permettre le luxe de voyager tout en travaillant et ainsi fuir la grisaille hivernale bruxelloise. Un ami me laissait à Athènes un appartement avec une jolie vue et une petite table où je pouvais faire mes broderies. J’emmenai avec moi de nombreux « foulards » comme autant de pages blanches.
J’arrivai à Athènes sans aucun plan, seulement l’intuition que ce travail serait adapté à ce voyage. Stimulé par la ville, son foisonnement et sa douceur, et tous ses paradoxes, je décidai de rendre compte de mes flâneries comme lorsque l’on tient un journal, sans préméditation, au jour le jour, où chaque page est autonome. Mon propos n’était pas de faire un guide touristique ni un exposé sur Athènes, mais plutôt de témoigner de ce que j’y voyais. Je me laissais inspirer par la douceur de la lumière méditerranéenne et de ce qu’elle effleurait. Autrement dit, je brodais quelques ruines, des petits paysages abstraits, un backgammon, des bus de police, des grillages… et aussi des frises, ces motifs qui s’agencent et se répètent à l’infini comme l’illustration d’une suite mathématique ; toutes ces choses se succédaient comme pour un cheminement.
Je désirais que mon travail fût vraiment attaché à ce moment et à ce lieu. J’en eus la confirmation lorsque je découvris dans un magasin de seconde main un stock de robes et de gilets brodés de motifs traditionnels du nord de la Grèce. De par la proximité des motifs, des couleurs, des techniques, cette découverte cautionnait mes intentions. Alors, je pensai à Béla Bartók composant ses six danses roumaines. Comme lui, j’avais réutilisé tout ce matériel traditionnel et folklorique. J’avais aussi réinterprété cette lumière, cette énergie urbaine. Tout ceci me fit me sentir proche de lui.
(Texte par Lionel Estève)
Lionel Estève. Né en 1967 à Lyon, France. Habite et travaille à Brussels, Belgique.
Lionel Estève expérimente différentes matières et différentes techniques artisanales pour créer des objets raffinés comprenant notamment – mais non exclusivement – des collages, des assemblages, des sculptures et des mobiles. Il considère son travail comme la source d’un perpétuel apprentissage et comme une exploration à travers une multitude de matériaux, de techniques, de formes. Son esthétique inclassable, échappe sans réserve à la rhétorique actuelle de l’art contemporain pour évoquer plutôt un sentiment de beauté absolue. Qu’elles soient figuratives ou abstraites, ses visions délicates s’inspirent généralement de motifs trouvés dans le monde naturel ou dans l’expérience sensorielle de celui-ci, source première de sa créativité débridée. Tel un enlumineur de manuscrits, il cherche à passer sous la simple surface des choses et à transcender leurs merveilles par de joyeux artifices. Lorsqu’il n’orne pas directement des éléments réels comme des plantes ou des pierres, tout ce qui reste parfois de son œuvre sculpturale, mais pratiquement diaphane, est l’effet fascinant d’une lumière chatoyante ou de motifs fractals qui se déploient. La somme de toutes ces expériences montre un cheminement qui parcourt et révèle une pensée singulière.