Au fur et à mesure de mon immersion dans l’univers de la culture drag, j’ai réalisé à quel point les valeurs diffusées, s’entremêlent avec les grands principes de la spiritualité. Si nous reprenons et étudions les citations les plus célèbres de RuPaul, the mother of all queens -ou comme j’aime l’appeler, Mama Ru- nous verrons à quel point les lignes directrices sont identiques, et dérivent de la même source.
If you don't love yourself, how in the hell you gonna love somebody else ?
Si tu ne t’aimes pas toi-même, comment pourras-tu aimer quelqu’un d'autre ?
La règle d’or, que ce soit dans le drag ou la spiritualité, est : l’amour de soi. C’est aussi, selon moi, l’application la plus difficile à mettre en place, à cause de la société dans laquelle nous évoluons. Tout ce qui nous entoure depuis notre naissance nous amène à nous rabaisser, à nous faire comprendre que nous ne sommes pas assez. Cela déclenche une quête infinie à chercher ce qui nous manque à l’extérieur, via des personnes ou des événements. Pourtant, ce substitut n’est pas fiable et finit toujours par s'épuiser, en laissant derrière lui les altérations mises en place dans l’espoir de se faire accepter. En se connectant à notre source intérieure, nous devenons indépendant·es et aptes à s’ouvrir à un amour sincère envers soi et envers le monde.
I feel like you’re being sabotaged by your inner saboteur
Je sens que tu te laisses berner par ton saboteur intérieur
Cette phrase fait directement écho à une scène énormément reprise dans le cinéma, celle où le·a protagoniste extériorise son combat interne par un petit démon et un petit ange débattant sur ses épaules. C’est quelque chose que nous possédons tous·tes et qui est totalement normal. Le démon est le fruit des injonctions limitantes perpétrées par la négativité du monde extérieur. C’est pourquoi, il est primordial d’engendrer un énorme travail de déconstruction sociale afin de renouer avec son pouvoir personnel. Nous sommes tous·tes des êtres exceptionnel·les et nous pouvons accomplir tout ce que notre cœur désire lorsque nous sommes guidé·es par l’amour et la bienveillance.
Fulfillment isn’t found over the rainbow - it’s found in the here and now
L’épanouissement ne se trouve pas au pied de l’arc-en-ciel - il se trouve dans l’ici et maintenant
L’ici et le maintenant est la quintessence même de la spiritualité. Pour être heureux·ses, libres et ouvert·es, nous devons vivre dans l’instant présent. Néanmoins, ce n’est pas toujours aussi simple. Nos vies sont plongées dans des courses folles, où nous sommes continuellement poussé·es à accélérer la cadence. Lorsque nos esprits parviennent à s’arrêter un instant, ils sont, la moitié du temps, plongés dans la pensée d’un passé douloureux, faisant ressurgir un sentiment de mélancolie ou de colère. Tandis que l’autre moitié se concentre sur une anticipation du futur, souvent biaisée et reflétant davantage nos peurs que la réalité, créant ainsi de la frustration et de l’anxiété. Seul le présent nous permet un véritable ancrage, catalyseur de guérison.
Suite à cette réflexion sur la spiritualité et les valeurs que véhicule la scène drag, j’ai demandé à trois personnes, membres et/ou allié·es de la communauté, de répondre d’une manière subjective et la plus personnelle possible, à deux questions très simples.
Quelle est ta définition du drag ? Qu’est-ce que cet univers t’a appris/apporté ?
L’art du drag, c’est d’abord un terreau fait d’intolérance, de rejet, et d’un sentiment de non-appartenance inlassablement irréfutable. De ce terreau, des ronces poussent, de la belle mauvaise herbe, et leurs branches, leurs feuilles, leurs racines finissent par constituer de robustes liens, des franches proximités qui sécurisent, créent l’inconditionnel qu’on a toujours su leur refuser. Si l’on devait dessiner le sens propre du mot solidarité, ce serait le jardin de l’art du drag qu’on prendrait comme modèle. Dans l’art du drag, ce qui se plante toujours se révèle, et les différents cycles ainsi entamés, l’entrelacement de ces destins voués à l’art dans l’identité, fondent un principe fort : aucune fleur n’y meurt jamais.
Le drag m’a appris qu’il n’existe pas de question bête. Que c’est toujours sain de s’explorer, que c’est toujours sain de l’exprimer. Que dès lors qu’on entame cette quête animée d’un sentiment profond de légitimité, c’est par millions que les trésors sont trouvés, qu’il est si facile de ne plus nier la beauté, du tout, de l’immense, du chant, de la danse. Que le monde est beau parce que j’existe. Que sans les autres, je n’existerais pas. Et que rien ne m’est hors de portée, puisqu’avec le drag je ne cherche pas à m’élever, mais à me reconsidérer, me recommencer, autrement m’entendre crier. Avec, en porte-voix puissant, donc confortant, la complainte exubérante et l’engagement coloré de celleux qui, comme moi, par l’oubli sont visé·es. Trans, racisé·es, goudou, pd, LGBT : la seule limite jamais n’en saurait être le seul alphabet.
(Walid, 26 ans, étudiant en M2 (MEEF) Anglais, Paris (75))
Ma définition personnelle du drag s’approche plutôt du maquillage de guerre en quelque sorte, voire même de tout l’attirail, armure et cie. Et cela se justifie par cet aspect du regard : le regard et les avis des tiers pèsent, parfois même agressent. Le drag est une manière d’assumer, exacerber et dominer le regard d’autrui. Bien souvent en exagérant les traits féminins (qui sont traditionnellement plus critiquables que les masculins). L’attirail de guerre vient donc permettre de mettre en avant des côtés enfouis d’une personnalité, ce qui tient presque du thérapeutique. Même en étant simple spectateur·trice.
(Béatrice, 30 ans, Graphiste, Seine-et-Marne (77)
Pour moi, le drag est un art, au centre duquel repose la transformation et la sublimation. L'artiste devient sa propre toile et peut devenir ce qu'iel désire. La sublimation est multiple et véhicule souvent un message, politique ou non, lié à la féminité, à la place de la femme ou de l'homme dans la société, et la vision attendue de celleux-ci par cette dernière. Ce que le drag m'a apporté est une connaissance de l'histoire de la communauté LGBTQ+ depuis Stonewall. L'histoire de mes prédécesseur·es, leur lutte et parfois leur sacrifice, qui m'ont permis de vivre fièrement mon identité. Une célébration de notre complexité en tant qu'êtres humains, car tout le monde peut faire du drag et en ressortir grandi. Cela revient finalement à cette sensation qu'apporte le déguisement étant enfant ; chacun·e peut s'échapper un instant de sa vie actuelle et de ses limites, et parfois les dépasser. Le fait de se transformer est pour moi une façon de se découvrir et peut-être se dire qu'une femme est plus que leur seule idée préconçue. Que la société n'est pas réellement remplie de Barbies et de Kens, comme certain·es veulent le penser, que nous tous·tes, en tant qu'humains, sommes complexes et non limité·es par nos chromosomes ou nos parties génitales.
(Florian, 32 ans, BTS Hôtellerie, Val-de-Marne (94))
La culture drag est née de la douleur, et tout ce qui naît de la douleur se voit porté par l’amour et la bienveillance. C’est l’empathie de savoir à quel point nous avons souffert, et de ne souhaiter cette douleur à personne d’autre.
Encore aujourd’hui, malgré un essor incroyable, cette communauté souffre. Elle voit ses droits reculés à grands pas, injustement. Aux États-Unis, par exemple, de nombreux états interdisent à toute personne habillée en drag de pouvoir côtoyer des enfants dans des lieux publics, même dans le cadre d’une lecture de livre. Ces lois sont immorales et discriminantes, elles interdisent aux performeur·ses de vivre de leur art et destituent les enfants d’opportunités d’apprendre l’ouverture d’esprit et la tolérance. C’est également un apport de magie essentiel, que la culture drag leur offre, dans un pays où les mois sont désormais rythmés par de plus en plus de fusillades (soit 72 fusillades de masse en 46 jours pour le début de l’année 2023). Lorsqu’un·e enfant voit une drag queen habillée en princesse ou un drag king en chevalier, c’est avec une certitude féerique qu’iels y croient.
Quand prendrons-nous exemple sur nos enfants ?