Pour les personnes croyant en la réincarnation, nous naissons avec un bagage karmique. Mais nous accumulons aussi tout au long de notre vie, nombre d’expériences. En effet, tout ce que nous pensons, faisons et surtout répétons s’inscrit dans notre être comme des habitudes. Celles-ci deviennent même une partie de notre identité et dans certains cas, elles finissent par annihiler notre nature originelle. Notre histoire et son éducation, nos choix et cette sacro-sainte société nous construisent dans des proportions qui varient. Mais ont-elles également un impact sur notre manière de voir le monde ? Ce qui est sur, c’est qu’aujourd’hui nous devons répondre à des modèles, et à une façon de vivre qui satisfont aux codes édictés par nos sociétés modernes et matérialistes. Essayer de rester en dehors est presque devenu impossible !
Sans que nous en ayons véritablement conscience (et le choix de ce mot n’est pas innocent), les normes d’aujourd’hui nous forcent à faire des choix identitaires, qui servent plus la société de consommation que notre propre bien-être. Cela est encore plus marqué dans nos pays dits modernes où l’image et l’identité sont des prérequis essentiels pour y être acceptés et s’y sentir « chez soi ». Toutefois, les répercussions de ces identifications ont pour seul but de transformer les consommateurs de demain en prisonniers ! Des prisonniers qui fabriquent, en saisissant et en utilisant tous les moyens et produits mis à leurs dispositions, les chaînes qui les entraves. Et les enjeux sont doubles !
D’une part, ces objets de consommation sont tous impermanents et ils s’abîment inexorablement. C’est donc en toute logique et aidés par obsolescence programmée, qu’il nous faut les racheter, encore et encore. Sans cela, la souffrance de ne plus posséder, de ne plus détenir ces biens qui permettent d’intégrer cette société et de répondre à ses codes, pourrait bien envahir et déprimer la personne qui s’identifie à ceux-ci. D’autre part, en courant frénétiquement après ces besoins, édictés par les multinationales dont le but est de s’enrichir, nous finissons par étouffer notre nature profonde pour la substituer par une identité uniquement sociétale. Ce n’est pas cette dernière en tant que telle qui est dérangeante, c’est plutôt qu’elle réussisse à remplacer complètement la nature originelle de chacun de nous. C’est qu’elle finisse par rendre inintéressant tout ce qui ne peut pas se vendre : la nature, les forêts, la gentillesse et la simplicité, etc. En allant un peu plus loin, toutes ces saisies sociétales que nous faisons depuis notre jeune âge deviennent des habitudes bien ancrées. Celles-ci se transforment au fil des années en de nouvelles références qui définissent notre identité principale. Nous ne sommes plus cette simple présence, qui se promène en forêt, qui profite de cet air sain et de l’instant présent ; mais nous sommes plutôt untel, qui aime les smartphones d’une certaine marque, qui s’habille avec un style qui l’associe à un groupe et qui conduit une voiture suffisamment luxueuse, etc. Finalement, nous devenons cette addition de possessions. Et si tout cela n’est pas fondamentalement négatif, car ces outils peuvent être utiles, le problème est de s’identifier exclusivement à ceux-ci. Un proche du dalaï-lama : Sogyal Rimpoché, répondait en ces termes à cette problématique : « C’est comme si le lundi on vous donnait tout Paris, il faudrait l’accepter sans vous plaindre. Et le lendemain, si l’on vous demandait de le rendre, il faudrait pouvoir le faire sans vous plaindre également ».
Le codage sociétal influe et surtout altère l’attention que nous portons sur le monde qui nous entoure. En effet, si le bouddha nous dit que nous sommes ce que nous pensons, nous sommes également le total de nos habitudes. Et ces deux facteurs que sont le karma et nos pensées, créent un filtre qui se superpose au regard que nous portons vers l’extérieur. Les pensées sont projetées sur un écran de cinéma sur lequel elles défilent. En réalité, cet écran n’est autre que nos propres yeux et dès lors que nous pensons, notre réalité se voile en fonction de l’importance de nos pensées ; cela est d’ailleurs encore plus vrai à partir du moment où des émotions viennent augmenter la puissance de celles-ci. N’avez-vous jamais remarqué que prisonnier du joug de vos réflexions et de vos émotions, vous n’aviez pas accès à l’instant présent ? Et telles des lunettes sales, nos yeux ne distinguent presque plus rien ! Si l’on ajoute notre karma et donc nos habitudes à ce facteur, le monde que nous percevons est en fait une douce illusion alimentée par nos pensées et notre karma résultant de notre encodage sociétal, mais aussi de notre histoire personnelle.
Je me souviens quand mon grand-père m’emmenait en forêt. Nous nous promenions des heures, coupant des branches de noisetier et ramassant des champignons. La connexion était bien là et celle-ci n’était pas la résultante du wifi ! En ce sens, les nouvelles générations s’éloignent de la nature, mais également de cette vue simple et harmonieuse qu’elle représente. Une citation du dalaï-lama résume précisément cet état de fait : « Faites attention à ce que vous désirez, car il se pourrait que vous l’ayez ! ». Oui, il est primordial de faire attention à tout ce que nous choisissons d’accumuler comme expérience, d’être attentif à ce que nous pensons et souhaitons, car tout cela nous définit bel et bien et modifie notre vision du monde. Développons également une conscience de l’instant présent et renouons avec cette nature qui soutient la vie depuis des millions d’années. S’il n’est pas question de régresser, la direction à prendre est davantage une question de priorité. Lâcher prise de ce monde exclusivement tourné vers les bénéfices et la rentabilité et ce, au détriment même du seul environnement qui nous permet de vivre et devenu non seulement une question de survie, mais également d’intégrité, de conscience et de liberté.
Notre véritable carte d’identité n’est pas dans notre portefeuille, mais dans notre façon de voir la vie.