Ayant établi dans La spiritualité comme fondement universel de la vie les bases fondant notre respiration spirituelle pour l’exercice de notre liberté, nous poursuivons cette méditation pour sa partie « métareligieuse », au-delà du religieux, sans faire de ce terme forgé à dessein un concept ; il nous sert d’indicateur d’une problématique plus profonde.
Les pensées, les idées s’accumulent en doctrine, deviennent système, se structurent en une idéologie apaisant momentanément l’inquiétude de notre esprit dans sa quête d’un sens ultime et omnisatisfaisant. Il est obvie qu’ici la prudence s’impose car une idéologie en cache une autre… et ainsi de suite.
Les idées anciennes concernant l’origine de l’univers et de la vie humaine, de son sens et son destin ultime, ont été judicieusement sauvegardées par les réceptacles et transmetteurs de ces informations que nous appelons les religions. Il y a l’histoire des idées et il y a aussi l’histoire des religions et leur comparaison. En matière de religions, quelle abondance d’idées, quel trésor d’expériences, de pensées inspirées, quelle poésie dans leurs expressions, quelle ressemblance entre elles, quel génie de synthèses, quel souci d’éclairer l’homme sur les questions fondamentales qui l’habitent !
Il est possible de concevoir les apports des sages, des prophètes, des fondateurs de mouvements religieux, des maîtres spirituels comme des messagers-informants, à savoir comme sources d’informations qui jettent de la lumière sur la condition humaine, qui éclaircissent un espace d’opacité intellectuelle et spirituelle. Ces messagers-informants contribuent tous, selon leurs talents et à des degrés divers, à conduire l’humanité à plus de clarté sur son sort, à plus de participation à une entente et à un amour universel. Or, leurs informations demeurent toutes limitées dans leur envergure et conditionnées par les conceptualités liées à leurs insertions culturelles et à leurs civilisations. Il faut ainsi examiner en profondeur toutes ces informations, d’où qu’elles viennent, les analyser et raison garder.
De ces messagers-informants nous pouvons accueillir ce qui est de valeur universalisable, pour vivre bien ensemble, pour nos relations avec autrui : le pardon, la miséricorde, compassion, empathie, la gratuité, la reconnaissance, les vertus d’espérance, de force, de prudence... Nous choisirons ces informations en jugeant de leur qualité, nous sommes ainsi syncrétistes, à savoir sélectionnant différentes sources, tel que nous le faisons chaque jour avec les informations variées que nous recevons pour enfin retenir ce qui nous semble fiable, vraisemblable, méritant notre confiance. Ce syncrétisme, ce choix d’opinions issues de différentes sources est coutumièrement disqualifié en bloc par les puristes doctrinaires. Or, ceux-ci, en pratique, se révèlent être des intégristes, fondamentalistes, fanatiques en tout genres, prêts à défendre la pureté de leur substance religieuse par tous les moyens prétendument agréables à leur dieu. Ils sont très souvent dans l’ignorance de combien leurs croyances elles-mêmes sont issues de différentes origines culturelle et mythiques, étant donc par définition loin de ne pas se référer à des syncrétismes, à savoir des synthèses d’éléments variés, mélangés.
Les religions accompagnent l’histoire de l’évolution de la conscience humaine. Les tentatives d’étymologie du mot religion ont éprouvé des difficultés : la parole religion, viendrait-elle de ‘ relier ’, religare, nous re-lier à Dieu ? En effet, toute religion, quelle qu’elle soit, définit l’homme par une référence à une extériorité, connue par mode d’un savoir externe, extérieur à soi, par révélations orales ou textuelles, normalisées en ses écritures, transmises par ceux qui se définissent comme appelés à réaliser cette mission annonciatrice à accomplir au profit du salut des bons entendants. Toute religion s’entend comme un savoir, une connaissance conduisant l’homme par des pratiques morales et cultuelles à son salut qui lui adviendra ainsi et grâce à sa coopération.
Il ne convient pas de s’imaginer une opposition infranchissable par principe entre la conscience subjective et ce qui lui advient de l’extérieur, comme si tous ces contenus seraient de soi inappropriés ou suspects. Or, ils sont à passer par le prisme critique de la raison tel par des rayons x d’un laser métaphysique, comme nous le faisons avec toutes les informations à traiter dans notre fore intérieur.
Intériorité et extériorité, le moi et l’autre, l’identité (l’ipséité) et l’altérité, (hétérologie) se conjuguent par la dynamique de l’échange enrichissant d’informations. L’intercommunication est ce qui nous fait vivre comme sujets. En effet, notre subjectivité est toujours déjà entremêlée avec le monde, la réalité, ou l’intersubjectivité transcendantale comme disent certains, à savoir avec un type de communication humaine à tous les niveaux que nous partageons en tant qu’humains. Dans cet espace nous recevons chacun des informations, des programmes venant d’ailleurs, structurés ou formalisés en pensées systématiques, idéologies, doctrines et religions. Chaque fois il s’agira de scruter, d’examiner, de juger, d’être critique (krinein-juger) face aux informations pour analyser si et comment je peux et veux les assimiler. Cette discussion intérieure, ce dialogue interne entre l’esprit individuel et toute la pléthore d’informations advenant de l’extérieur… voici l’enjeu de l’authenticité et voici l’impact de la spiritualité qui se propose pour primer souverainement sur tout savoir qui s’imposerait de l’extérieur ou bien endoctrinerait l’espace réservé à la liberté du sujet.
Les entraves, les écueils depuis les débuts de l’Humanité sont à prendre très au sérieux : l’orgueil, la présomption, l’arrogance sont des masques qu’impose l’égo en nous bouchant la vue, la réduisant au partiel, à ce qui me concerne moi, et moi seul, le moi égoïste. Se libérer progressivement du poids intellectuel et émotionnel de ces illusions persistantes représente le chemin de toute une vie, une libération qui varie en rythme en chaque être humain. Mais les risques que toute démarche subjective peut entrainer ne peuvent être évités d’avance, on peut seulement alerter d’emblée leur insistance. On ne peut pas sauter les étapes. La vie nous apprend. Il faut s’approcher inéluctablement de ce centre de soi-même, ce centre où seule l’évidence manifestée peut nous convaincre. En temps de crise, toute notion extérieure est défaillante, psychologiquement, et seules les évidences subjectives servent à ce moment de substrat pour fonder une base solide de jugement.
Ce qui est propre aux religions, à toutes, c’est de souhaiter fournir un ensemble d’informations provenant d’une source qui n’est pas humaine et donc véridique à partir d’une origine qui, elle, ne peut être vérifiée. D’où l’appel à avoir foi en ses contenus proposés. Ces contenus ont changé selon les civilisations et changent selon les multiples conceptualisations. Notre besoin à nous tous, celui d’avoir raison, d’être rassuré, cette fragilité inscrite dans notre nature que l’égo par moments amplifie d’une angoisse existentielle, nous rend vulnérables et ainsi susceptibles de nous réfugier dans ce qui, en ces moments, nous semble introuvable en nous-mêmes. Et voilà le malentendu.
Ce malentendu, hâtif, s’avère profond. Il touche la profondeur de qui nous sommes, mais dont nous pouvons prendre conscience seulement à un prix élevé, celui de rentrer en nous-mêmes. Tous les sages, tous les mystiques de l’Humanité le savent et le ‘prescrivent’ comme seul remède. Ils nous demandent beaucoup, mais est-ce ‘trop’, comparé à ce que nous coûtent, individuellement comme collectivement, en énergie et en argent, la médiation à négocier avec les religions, leurs prétentions, leurs exigences et demandes, pour les soutenir, pour financer leurs réflexions, leurs réunions et tentatives d’ententes entre elles ? Ceux qui suivent du dedans les pourparlers interreligieux et œcuméniques savent qu’ils signifient un progrès certain et important dépassant enfin les attitudes hostiles d’antan. Le but affiché serait l’unité. Celle-ci occupe une foule de chercheurs, de ministres, de dignitaires, de responsables, de facultés, d’instituts, financés (partiellement par l’argent public) pour chercher un résultat, lequel, quand il advient, craint d’éclipser à jamais le financement de leurs existences. On comprend ainsi qu’il y ait peu de hâte.
Or, il reste évidemment essentiel de poursuivre les recherches historiques. L’Histoire nous a fourni et continue de nous donner des exemples en abondance du conflit jaillissant de la prétention qu’implique l’approche de la doctrine religieuse et des conséquences conflictuelles qu’elle ne manquera pas de produire. L’histoire de l’Humanité se décline par les guerres et les conflits causés d’une façon indirecte ou directement par des oppositions réclamant la priorité dans l’ordre de la vérité et qui serait à imposer à tous les niveaux de la vie humaine, individuelle et en société. Une polémologie des religions et l’arithmétiques de ses victimes reste à développer. Il a fallu beaucoup de révolutions pour être progressivement délivré des prétentions d’appropriation aliénante des vies des individus.
Faute d’évolution consciente et libre, les révolutions ont dû réclamer aux puissants, aux gouvernants, à ceux qui tenaient le savoir au nom de leurs appartenances religieuses, à lâcher prise, à laisser en liberté ceux qu’ils tenaient dans un état d’infériorité et de dépendance politique, psychologique et religieuse. Il faut peu de paroles pour résumer ce que nous savons aujourd’hui d’un passé peu glorieux que l’humanité a créé avec elle-même, à savoir en malmenant son potentiel de libération et de bonheur à travers une guerre de force et de pouvoir de tout genre où gagnent les plus forts. Rien de ceci ne se défend devant la Raison qui nous est en commun, cette raison éclairée, cette lumière naturelle, ce don, don pour ainsi dire ‘ divin ’, qui nous sert comme base de communication universelle, d’une culture de dialogue et de compréhension mutuelle.
Nous devons miser sur l’élaboration d’une science consensuelle basée sur les grandes intuitions de l’humanité et de chacun de nous, un savoir qui nous est comme en partie inné et qui s’étend et se répand, l’étincelle lumineuse, celle qu’expérimentent et explicitent plus clairement les mystiques et les sages de l’Humanité ; une science suprême, sublime et commune à nous tous, verbalisant ce que les êtres humains conçoivent ou balbutient du Divin, une science mystique issue de la méditation, une science de la Sagesse.
Nous devrions concevoir une science qui tienne compte de ce qui est de l’ordre du progrès dans le savoir religieux, le fait que toutes les croyances sont passées par des évolutions internes, laissant derrière elles des conceptions de ‘ dieu ’ qui de toute évidence devaient donner place à une vue plus raffinée, plus adéquate, plus ample, plus juste ; toutes les religions s’avèrent paradoxalement en ce sens précis ‘athées’ - par rapport à des prises de positions antérieures concernant leurs idées de ‘ Dieu ’, conceptions reconnues par après comme provisoires, partielles et désormais révolues, caduques.
En admettant un discours, une logique au sujet du Divin, on ne peut raisonnablement concevoir que Dieu souhaiterait nous maintenir dans une soumission aveugle, comme s’Il préférait nous garder en infériorité pour recevoir ce qu’il dicte, fait écrire, ses écritures, inchangeables, puisque venant d’en haut, enseignements, doctrines, lois, commandements… Ces informations glanées par ses moyens, peuvent certes être utiles pour nous orienter, pour nous organiser une vie bonne et heureuse socialement et individuellement, si, et seulement si effectivement révisées à la lumière de la Raison. Le Divin, en lui reconnaissant son existence - sans la lui imposer - souhaite certes partager les effets bénéfiques de son existence sans réserve : une conviction universellement partagée est à juste titre que ‘Dieu est bon’ ! Donc une bonté communicative, au niveau du savoir et du savoir faire le bien. Or, dans certains discours il s’agit d’une bonté imposant ses exigences et ses conditions. Une bonté directrice. Une bonté, encore une fois, à scruter et à passer par le prisme de la Raison, celle qui nous constitue et réunit comme universellement humain, celle qui nous a fait concevoir la Déclaration Universelle des Droits de l Homme et qui nous permet de la comprendre et de la faire partager, en nous référant à ce qui en l’autre, comme en nous, est universellement humain.
Il conviendra de rassembler, au-delà des concepts, les témoignages de cet amour absolu, substantiel, de cet Infini dont notre appareil cognitif, régi par la finitude de l’espace et du temps, ne peut que concevoir une faible idée, même pas pensée, d’un Amour infini, d’acceptation, de douceur, de vie et de régénération, de compassion et de pardon sans limites, selon les expériences spirituelles recueillies dans les témoignages des grandes traditions de sagesse de l’Humanité. L’Humanité ne peut que gagner en se ralliant autour de cet horizon qui nous dépasse et qui pour des raisons de prudence n’est pas expressément nommé, mais supposé dans la Déclaration des Droits de l’Homme : le divin, ‘ dieu ’, en forme disons agnostique, car il existe au-delà de nos moyens humains ordinaires de connaissance.
Le Divin subsiste au-delà de la création tout en y étant présent, ‘intimement’. Quand nous disons dans certaines traditions que Dieu est ‘personnel’ ou qu’il est une ‘personne’ ou plusieurs, il est convenu d’avance, conceptuellement, qu’il ne peut s’agir que d’une notion ‘ analogique ’, à savoir une notion pour nous donner un appui mental qui nous permet de concevoir un tout petit peu ce que peut signifier la réalité du Divin dont l’être et l’essence dépassent l’entendement humain… de sorte que l’on peut comprendre, aussi, que d’aucuns le nomment ‘impersonnel’, pour mettre en relief son être absolu qui échappe à toute saisie analogique risquant de l’anthropomorphiser… La force créatrice se manifeste à travers tout l’univers dans sa splendeur et sa variété bigarrée qui témoigne d’une Intelligence suprême immanente dans les choses et en les transcendant dans sa souveraineté.
Notre monde et ses galaxies, même encore en formation, manifestent une production continue d’informations qui dépasse infiniment ce que peut gérer le cerveau humain. Des pyramides parsemées sur la planète jusqu’aux phénomènes intergalactiques, nous sommes très loin de comprendre la complexité de notre monde, de son passé, de sa genèse ou de l’évolution spirituelle de l’homme.
Le développement de l’évolution spirituelle, celle qui fait naître le sentiment que nous sommes une Humanité solidaire, prend appui sur ce qu’il y a de plus fondamental dans l’expérience que nous faisons par exemple au moment d’être un malade dans un hôpital, où, du coup, nous nous rencontrons tous au-delà ou en-deçà de nos différences sociales et des idées que nous nous faisons de nous-mêmes, nous sommes tous, à l’évidence, des êtres humains, dépendant d’aide, nécessitant l’appui des autres, ouvrant nos cœurs spontanément à la solidarité. Une couche fondamentale est touchée en nous et se voit à découvert : notre base commune dans l’Humanité, la grande famille humaine, liée par des liens à conserver, à cultiver et à protéger.
Ce qu’il nous incombe, ce que tous ensemble nous devons nous efforcer de co-créer, c’est une éthique universelle, planétaire qui soit au niveau de nos plus hautes et pures aspirations. L’éthique comme garant de ce qu’il faut que nous surveillions en nous tous, pour protéger ce qui est innocent, pour protéger enfants, femmes et veuves, pour pallier contre tout genre néfaste d’esclavage toujours encore trop indemne, oui il faut que la loi soit universelle, vaille partout et en tout temps et circonstances. Cela fait à peine cent cinquante ans que certains pays ont donné la liberté aux personnes considérées comme esclaves, des êtres humains retenus auparavant en esclavage comme si c’était normal.
Dans beaucoup de domaines nous rencontrons une ‘normalité’ opaque qui se retrace à un inconscient collectif de l’Humanité que seule l’analyse consciente, douloureuse par moments, arrive à cerner et à remédier. Or, l’intégrité de l’être humain dépend d’une décision radicale pour le bien, afin de le déclencher pour le poser en acte. Un effort nous est demandé. Constamment, pour faire ressortir les ressources de bonté qui subsistent dans chaque cœur humain. Ceci va contre une attitude comparable à une cécité revêtant un caractère incompréhensible, un choix inconscient pour l’opacité, comme un refoulement de la possibilité d’une vérité libératrice psychologiquement pensée comme inatteignable.
Seule la décision radicale de faire le bien peut éclipser le poids de cette inertie. Ainsi, il est étonnant et inquiétant de constater comment nous souffrons d’une certaine cécité face aux évidences que nous manifestent les conflits sanglants, menés au nom de ‘ dieu ’. Comme si cet aveuglement faisait partie d’un refoulement collectif, familial, individuel, cette inattention et l’inaction, comme si nous supposions que quelque part cela se justifie, le prix à payer, les scories de l’Histoire, des vies innocentes sacrifiées pour maintenir la cohésion sociale, tels des boucs émissaires, pour garantir la ‘ paix ’. Une partie inconsciente en chacun de nous, celle qui nous noue à la peur primordiale, surveillée jalousement par l’égo, parait pouvoir consentir. Par contre, la prise de conscience nous mène à la rébellion, à la révolte libératrice et à l’action, au moment où la lumière de l’Esprit appelle une décision à prendre pour aller de l’avant.
Les religions et leur ramification gardent précieusement la mémoire de l’histoire de leurs conflits et par la suite elles ont tendance à vénérer leurs martyres comme témoins de leur identité distinctive ; cette tendance, bien compréhensible, s’oppose à la réconciliation et constitue une énorme perte de temps sur le chemin de la paix qui ne peut se réaliser que par une décision de pardon radical et de compassion universelle.
Il convient ainsi d’adresser un appel à toutes les religions de consentir à s’auto-soumettre à un examen de conscience critique pour identifier et résoudre leurs propres crises d’identité, leurs propres ombres, leurs excès d’affirmations, leurs textes réputés sacrés, leurs incohérences, leurs non-dits inavoués… qui pèsent sur la respiration collective, sur l’entente de la famille humaine et ceci pour accueillir cette force conciliatrice, unificatrice et créatrice que propose la présence de l’Esprit, lorsque la perspective s’ouvre à l’universel, à la vérité de l’Humanité, celle qui est vraiment humaine et, selon la croyance adoptée, aussi ‘ divine ’.
Chaque personne vise sa souveraineté. La souveraineté éthique s’acquiert comme construite sur la reconnaissance des multiples conditionnements qui sont à lâcher, à déconstruire, à défaire par un constant travail sur soi. La et les crises d’identité que nous vivons aujourd’hui à un niveau inopiné auparavant, provoquent des craintes profondes car elles touchent l’identité nationale, ethnique, familiale, liée entre autres à des confessions religieuses, et il existe donc la crainte de perdre ses racines… sans se rendre compte que celles-ci sont des références externes, changeables, relatives, par rapport à ce qui constitue notre identité véritable qui, elle, a vocation de s’auto-construire dans son évolution. Ce développement individuel s’articule à partir de l’horizon des intentions et choix libres, enrichis certes par les informations disponibles dans le trésor des sagesses de l’Humanité qu’il nous incombe de rendre, après son analyse critique, de plus en plus accessible. A terme, la souveraineté devra être éthique, universellement présente. L’éthique qui protège l’humain s’auto-impose dans sa souveraineté reconnue. Cette souveraineté a vocation de devenir planétaire, protégeant la vie, l’individualité, la conscience de chacun de nous selon des règles de droit.
Interspiritualité, laïcité, liberté
Le défi contemporain est celui de découvrir la spiritualité qui subsiste avant l’établissement des religions ou, plus concrètement, une spiritualité au-delà des religions, une interspiritualité universelle. Est-ce possible ? Comment obtenir et sauvegarder ces données d’informations essentielles dont les religions, seules, se croient être dépositaires ? Une longue recherche s’annonce. Elle sera à poursuivre avec le sérieux qu’elle mérite. Disons ici que notre conviction donne une réponse positive, puisque l’Humanité a déjà progressé de façon considérable sur ce chemin. Il importera d’expliciter le pouvoir libérateur des messages d’amour inconditionnel des grands messagers-informants, de les délivrer de leur habillage historique religieux contextuel et de les livrer enfin à l’Humanité tout entière et alimenter des intentions d’amour et de vérité les cœurs humains qui se languissent de ces vérités parsemées autour du globe selon les étapes de l’évolution de l’Humanité. Une fois réunies et restituées au patrimoine de l’Humanité, comme lui appartenant à elle, ces parcelles de sagesse universelle manifestent cette grandeur de l’Homme qui dépasse infiniment ses misères. L’espace public (tel une noosphère politique) reçoit ainsi comme sien ce que les groupements religieux estiment (pouvoir ou devoir) se réserver.
Ce que nous conjecturons ici exister au-dessus de nous tout en se révélant en-dedans de nous est le pouvoir absolu de l’énergie positive infinie. Voici un nom laïc, universel, du divin. D’aucuns s’indigneront de ne pas y trouver le nom spécifique de leur divinité, surtout celle qui leur a été révélé. Un nom peut y être posé, mais cette définition universelle du pouvoir absolu de l’énergie positive infinie restera à jamais plus large et dépourvue des limitations religieusement imposées. Car, dans ce contexte, il convient de détecter ce qui dans le discours religieux demeure souvent subtilement aliénant au sens d´abaisser l’homme, de le déconsidérer dans la grandeur de ses facultés, en construisant une projection de conflit avec le divin qui défendrait jalousement ses privilèges et s’opposerait à toute égalité avec l’humain, classée et traitée d’orgueil, appelant ainsi à une punition divine, mettant l’homme dans le rôle d’un révolté, d’un pécheur.
En ce qui a formé la civilisation appelée occidentale, désirer le fruit défendu de la connaissance du bien et du mal, privilège divin, serait l´origine du conflit qui a été repris selon les images mythologiques des suméro-babyloniens (chez eux sans punition divine) et qui a ensuite été défini dans les religions monothéistes, comme méritant la punition, celle d’être chassés du paradis pour désormais devoir mériter sa vie sur terre par le travail, par l’obéissance à des enseignements, à des lois guidant la vie. Désirer la connaissance du bien et du mal (thème combien commenté) demeure pourtant le but de la vie humaine, la promesse d’un savoir, légitiment désiré car nécessaire. Ce qui est fragilité, incomplétude et manque de contrôle éthique sur soi (akrasia), est hypostasié en condition anthropologique, en état peccamineux permanent. Dans ce schéma de pensée, dieu estime impardonnable le fait que l’homme désire cette connaissance par ses propres forces, tandis que celle-ci lui peut exclusivement être révélée, décrétée et puis administrée par les représentants de la divinité sur terre.
La civilisation dite occidentale a été fortement marquée par cet héritage culturel, par la référence à cette mentalité religieuse. Or, nous avons pu progresser en cette matière dans cette partie du monde. Les sociétés démocratiques ont manifesté des résultats convaincants pour, au moins, servir de points de départ pour aller plus loin. Il s’agira d’évoluer dans le sens d’une réalisation de sociétés basées sur des principes d’une spiritualité laïque, socle d’une éthique qui s’élabore sur la base de connaissances universellement consensuelles. Il y a quelque chose de commun, l’Humain, l’essence de l’être humain (homo, anthropos, purusha, insan, adam, man, mensch, cheloviek…).
Nous devons opter pour des choix positifs en faveur de l’épanouissement de la vie humaine, celle qui est éco-psycho-durable. Les spécialistes dans leurs langages spécialisés, les juristes du droit international, les scientifiques et les thérapeutes en tout genre, ont vocation à dire, adapté aux conditions et circonstances qu’ils ont à affronter, ce que les sages de l’Humanité, tels les réalisateurs d’une éthique concrète à visée universelle, expriment dans un langage de l’intuition, ce regard qui va vers l’intérieur, ce langage de l’empathie, du Cœur, réalité intime, symbole et métaphore de l’Esprit, reconnus dans toutes les traditions spirituelles chez tous les peuples de la terre. Il existe dans les sagesses de l’Humanité une ‘cardiologie spirituelle’ universelle sur laquelle la lumière de la raison doit prendre appui, pour nous ouvrir l’espace d’une interspiritualité universelle.
L’éthique du Cœur rencontre celle de la Raison qui, elle, devra se traduire et s’exercer au niveau des normes et de la morale civile. Le Cœur entend la règle d’or dans sa validité comme une évidence que la raison peut entendre. Le Cœur sait qu’il faut réduire la souffrance indue et superflue et il sait qu’il faut la penser dans les autres par la compassion, la bonté qui nous fait vivre au quotidien et nous constitue et, quand nécessaire, nous reconstitue dans notre dignité, dans la générosité et la gratuité qui nous habitent, celle du partage de nous-mêmes. L’expérience subjective et personnelle restituée à elle-même, libérée de fausses occupations illicites de ses territoires psychologiques et spirituels, manifeste la beauté de l’être humain, celle de son essence même, invisible aux yeux de la chair.
La liberté de l’Esprit règne là où la spiritualité a pris le dessus sur tous les régimes des savoirs externes. Ainsi, il s’agit de reconnaitre les traditions religieuses dans leurs intentions positives globales, leurs multiples engagements sociaux, avec un respect sincère, comme existant et coexistant sur un grand écran des civilisations de l’Humanité. Si de toute évidence les personnes méritent toutes notre respect inconditionné, leurs doctrines singulières sont à considérer avec prudence. Elles figurent à jamais sur le grand écran de l’histoire du développement de la conscience humaine. Or, quand on ‘ clique dessus ’, pour ainsi dire, elles risqueraient de révéler leurs caractères propres inopinés, leur désir de réclamer chacune son exclusivité, exclusivité d’où elles risquent de produire une force conflictuelle insoupçonnée, rappelant, dans leurs textes sacrés mêmes, des structures patriarcales, des différenciations entre castes et sexes, des exclusions et violences contres ceux qui n’adhèrent pas à la même foi. Comble de paradoxes. Quelle conflictivité inhérente aux discours religieux !
Nous sommes désormais habitués à voir des documentaires, ou des vidéos en direct pour assister aux événements en distanciel. Nous connaissons ces reportages sur les horreurs exécutées au nom de dieu dans différentes parties du monde. L’excuse donnée (pour des actes terroristes d’un des versants monothéistes) est toujours celle qu’il s’agit, accidentellement, d’une interprétation erronée de certains textes des écritures. Or, fait inquiétant, les références scripturaires évoquées par les activistes existent et subsistent toujours, malgré leur potentiel de dangerosité. Si nous avions des vidéos sur les guerres menées au nom de dieu, là où on tuait les hommes, les femmes, les veuves, les enfants déclarés ennemis de dieu… ethniquement impurs, des infidèles, par trop éloignés de ce dieu annoncé comme l’unique, le seul vrai, tel que racontent les récits historiques des écritures saintes des monothéistes (pour ne mentionner qu’eux) - nous serions probablement consternés, voire horrifiés. En absence de ces images en direct, nous restons dans un état d’ignorance des temps lointains dans le passé, pour ainsi dire en anesthésie, sans aucune synesthésie d’expérience qui nous permettrait de voir, de sentir en direct, pour nous-mêmes. Réduits à être des lecteurs ou historiens d’un passé inexpérimenté, ces histoires continuent à être accueillies comme saintes et proposées comme matière de foi. L’esprit critique, levant sa voix, se confronte à un ‘honni soit qui mal y pense’…
Lorsque la raison s’érige contre l’inadmissible, écrit pour pouvoir le constater dans les textes mêmes, on se confronte à une situation paradoxale où le déni explicite s’accompagne très souvent de l’affirmation qu’il s’agit d’une mauvaise traduction et que seuls ceux qui connaissent la langue d’origine sont en mesure de cerner le sens profond.
Il convient également de voir avec réalisme que beaucoup de religions se croient investies, comme de droit divin, d’une mission eschatologique et apocalyptique, souvent intégriste ou théocratique, leur fidélité à servir leur Dieu prévalant, de leur droit ‘divin’, sur toute rationalité humaine. Or, face à ces tentations de solutions finales : il faut raison garder.
Il est vrai que dans l’évolution de la conscience de l’humanité les religions ont le mérite d´avoir apporté maintes informations approximatives concernant l´origine du monde, la place de l’homme dans l’histoire et son destin ultime, couchées dans un langage symbolique ou métaphorique. Quand elles se seront libérées progressivement des éléments aliénants, elles se reconnaîtront elles-mêmes comme superflues, désencombrant le chemin de l’Humanité vers une plus authentique réalisation d’elle-même, vers une spiritualité où la liberté individuelle et la liberté collective, celle de l’Humanité, coïncident dans une unité permettant à toutes les différences, à tous les individus, de respirer dans la liberté de l’Esprit.
Dans cette interspiritualité, il y a un ample espace, voire infini, pour pouvoir contenir les approches personnelles, traduisibles dans leurs intentions éthiques comme s’identifiant avec les intentions positives de l’Humanité entière. Ce que les discours utopiques, (messianiques, religieux ou laïques) visent, en attendant le changement d’en haut, ou le forçant d’en bas par le truchement de révolutions violentes, ces changements politiques et sociaux nécessaires pourront se réaliser dans des démocraties locales par une communication délibérative sans domination, se réunissant sur la base des décisions nationales au niveau d’une plateforme planétaire pour promouvoir, protéger et assurer ce qui nous concerne et nous importe à tous.
Comme contrepoint de la globalisation du marché déjà existante et pour s’assurer que les décisions qui nous affectent tous sont en accord avec notre véritable souveraineté éthique, comme sujets libres et citoyens du monde, nous aurons recours, à terme, à une confédération de démocraties locales ou nationales qui se rencontrent sur cette plateforme où elles veillent sur le caractère éthiquement correct des décisions prises. La souveraineté éthique consiste en des règles universelles de droits humains. Cette confédération peut à terme évoluer vers une souveraineté politique pour concerter les décisions politiques consensuelles prises désormais avec plus de facilité, de compétence, de rapidité, d’efficacité. Cette plateforme de décision pourra nous aider pour prévoir les défis du futur. Car d’une façon tragique, l’Humanité a suivi un chemin de chocs, de guerres et de révolutions, au lieu de prévoir les conflits pour les éviter et les dépasser par les efforts du dialogue, de l’écoute respectueuse des différentes positions, pour prévenir au lieu de devoir guérir par après. Là où nous en sommes aujourd’hui, à l’ère numérique, nous n’aurons plus d’excuse de ne pas avoir pu savoir...
Le concept politique de la laïcité a vocation à devenir planétaire, servant de garant et le cas échéant de garde-fou, servant, enfin, pour sécuriser l’espace personnel pour vivre, exercer, approfondir son expérience spirituelle, source de connaissance, de tolérance, de ressourcement des énergies uniques dont chacun bénéficie dans sa vie si ces moyens de méditation et de recueillement lui sont garantis. Telles les mathématiques ou les langues, des pratiques de méditation devraient faire partie du curriculum scolaire des étudiants.
La laïcité, réflexion faite, sera l’apanage de l’Humanité entière qui a vocation d’être entièrement libre, affranchie des entraves de limitation de notre conscience. Sans devoir abdiquer la liberté de nos inclinaisons personnelles spirituelles, intérieures, dans notre sphère publique, extérieure, nous sommes appelés à nous rassembler dans une logique d’expression en accord avec une éthique universelle. Loin de toute hypocrisie, d’un double jeu, il s’agit de la reconnaissance consciente de la liberté du for intérieur, celle de la sphère personnelle en harmonie avec celle qui est publique, commune à nous tous.
Apprendre à s’écouter permet de se sensibiliser pour l’écoute des autres, mieux se connaitre en méditant permet de mieux se reconnaitre soi-même et devenir sensible à la si vitale reconnaissance d’autrui, observer le fonctionnement de son propre égo invite à le relativiser pour s’ouvrir aux autres, comprendre, même, que nous nous devons les uns aux autres, que l’isolation solipsiste que produit l’égo, telle une bulle, est en vérité une illusion, une bulle d’égoïsme qui doit éclater pour nous mettre au large, à l’altruisme.
Il est vrai que ces lignes ne seront pas sans provoquer l’impression qu’elles sont ‘idéalistes’, voire ‘utopiques’. Ceci est vrai dans le sens que - collectivement - nous ne sommes pas encore au but visé. La résistance de l’égo, par sa peur, à ce qui le dépasse, et ainsi, par le manque de rectitude morale les forces aveugles ou malignes qui engendrent les guerres et prétendent justifier l’injustifiable sont encore si puissantes, créant une réalité sociale, financière, politique si monstrueuse que notre monde paraît être condamné à continuer ainsi…
En renforçant le potentiel spirituel qui nous habite, désormais délestés des idéologies religieuses, et ainsi sortis du sommeil dogmatique et de sa dissonance cognitive, et en acceptant le défi que tout dépend de la force conjuguée des nos exercices spirituels, une réponse très positive surgit dans chaque cœur humain : la force du Bien tel un laser superpuissant dépasse les forces destructrices qui nous mènent au désastre. Même si par trop différée dans le temps, la victoire du bien sur tout genre de mal est certaine, voulue par la Raison qui nous invite à la suivre, et cette conviction fait partie du trésor de sagesses de l’Humanité, y inclut toutes les croyances religieuses dûment examinées, pour pouvoir, toujours : raison garder. Il nous appartient, de par notre condition humaine, de saisir le sens urgent de cette vérité universelle inscrite dans notre Humanité, celle qui met en évidence notre désir d’augmenter le bonheur et notre devoir de réduire les souffrances. Ceci nous est en commun. Ceci réside dans les cœurs des gens de bonne volonté. Le souffle pour le comprendre, le sentir, le respirer, le gouter et savourer, c’est ce que nous appelons spiritualité, condition et garante de notre liberté.