Frédéric Malette use du graphite sous toutes ses formes, en bâton, en poudre, sec ou dilué, puis le gomme, le ponce, l’enduit. Sur un même dessin, le trait peut être précis et doux, hachuré ou dilué ; le graphite prend plusieurs aspects : brillance et matité, douceur et rugosité. Ses oeuvres sont en lutte permanente entre douceur et violence.
Frédéric Malette cherche toujours à bousculer les figures; la belle facture, quasi académique, jusque là malmenée par des gestes de gommage ou de gribouillage, est aujourd’hui le plus souvent perturbée par la déchirure, le masquage ou le collage. L’utilisation des rebuts de l’atelier (dessin déchiré et mis de côté) est fréquente. Les superpositions de dessins cachent et révèlent en même temps ; jouent sur l’opposition du beau dessin et du rebut. Ces gestes et ces compositions permettent une mise à distance avec le sujet.
Les choix iconographiques, souvent puisés dans l’histoire de l’art et plus particulièrement dans l’antiquité, sont une manière distanciée de parler de l’homme et de la société contemporaine. Les figures mythologiques sont comme des personnifications de la mémoire, pour Frédéric Malette l’histoire se raconte, se transmet et se déforme, il n’en reste que le mythe. Les travailler en les masquant, les déchirant ou les associant est un moyen de se les approprier et de les questionner.
La déchirure matérielle visible sur certains dessins évoque aussi une fracture qui, si elle peut aussi trouver son origine dans l’histoire intime de l’artiste, renvoie d’abord à celle de la mémoire de l’histoire familiale, marquée par un passé colonial et la guerre d’Algérie.
Le travail de Frédéric Malette est empreint d’histoire de l’art, de littérature et de poésie. S’y agrègent aussi des images de la nature, faune et flore – l’atelier de l’artiste est maintenant en pleine campagne. Paysages, serpents, oiseaux blessés s’immiscent dans ses dessins, une campagne fantasmée dont l’expérience lui a révélé toute l’ambivalence, l’attrait poétique et la dureté du quotidien.
L’humain est toujours au centre du travail de Frédéric Malette, la relation de l’homme à ses origines, à l’histoire, à l’autre. Dans ses derniers dessins cette quête d’humanité passe souvent par le regard, pudique, hagard, fuyant. Matthieu Lelièvre écrivait il y a quelques mois, à l’occasion d’une précédente exposition* de l’artiste, que ces regards ou ces absences de regard « confèrent une mélancolie profonde et presque philosophique aux modèles ». On pourrait y lire les sentiments que leur inspire le monde contemporain. Ces regards énigmatiques ne sont-ils pas aussi ceux que nous portons sur la société, sur les hommes, et la nature à la fois idéalisée et malmenée au centre de nos préoccupations contemporaines ?