Les motifs de la dernière série de Youcef Korichi – barrières, buissons dressés dʼépines, orée dʼune forêt, sols, nuages – engagent à une méditation de fond sur la peinture. Mais ils motivent tout autant une réflexion qui excède la surface du châssis sur les notions de frontière, de point dʼarrêt et de dépassement.
Car ces effigies produisent de puissante résonance avec lʼair du temps : lʼœuvre princeps de la série autour de laquelle sʼarticule cette exposition – la représentation photoréaliste en très grand format dʼune triviale clôture de défense barbelée – apparaît bel et bien comme une tragique icône contemporaine. Lʼaspect photoréaliste de la chose peinte est certes saisissant mais ne doit pas égarer le regardeur pressé. Au contraire. Au culte de lʼinstantané photographique qui nous sature Korichi substitue autre chose. Pour lui, le cliché est un point de départ, lʼimage peinte un long chemin et, au-delà, lʼouverture de la pensée. Sa peinture trahit une fabrique de lʼœuvre qui prend radicalement le temps. Lʼartiste donne ainsi à voir ce que, sinon, lʼon ne verrait sans doute jamais. Le choix des sites, des motifs, des formats, la mise au carreau, lʼapplication patiente de lʼhuile sur lʼapprêt de la toile, les variations en diptyques, triptyques et polyptyques, petit à petit mis bout à bout, tout sʼinscrit dans un temps étiré. Aussi, pour le spectateur, une forme de mimétisme salubre engage à un travail du regard empreint de patience. Un regard de la longue durée pour appréhender ce qui est peint, un regard exigeant.
Chez Korichi, le refus de la facilité, de toutes les zones de confort, est un moteur. Cette temporalité de la fabrique – du site à lʼatelier, de lʼatelier à la cimaise – est une médiation besogneuse de ce qui est représenté et, chemin faisant, la possibilité de penser le réel qui nous entoure. Au-delà de la banalité du motif, comme saisi dans lʼaffolement général, cʼest à la dialectique opacité/éclaircie que lʼartiste invite à réfléchir, ainsi quʼau couple fixation/déplacement, en pur peintre.