La Galerie Nathalie Obadia est très heureuse de présenter la première exposition en France de l’artiste iranien Nima Zaare Nahandi, né à Téhéran, Iran en 1983. Après des études de mathématiques à l’Université de Téhéran, Nima Zaare Nahandi se concentre sur sa pratique artistique et obtient le diplôme de l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Paris en 2010. Lors de sa résidence à la Casa de Velázquez à Madrid (2010 - 2012), il développe une technique précise et minutieuse, orientée sur la finesse du détail. L’approche de ses sujets évolue avec le temps, le rendu final n’étant visible qu’après plusieurs mois de travail.
La série présentée articule de manière schématique les moments essentiels de l’évolution des capacités cognitives humaines, c’est-à-dire les aptitudes fondamentales telles que l’abstraction, le langage et la création de la culture. Les éléments visuels renvoient à des notions essentielles qui se dévoilent au cours de ce récit.
La première image de la série représente le moment où un être humain pénètre dans un territoire et se l’approprie. Il est en position de penseur, méditant afin de pouvoir agir sur son environnement. Cette image est composée de deux éléments visuels qui font référence aux concepts-clés d’ «ancêtre commun» et de «territoire».
« Les mots deviennent généraux lorsqu’ils sont institués signes d’Idées générales ; et les idées deviennent générales lorsqu’on en sépare les circonstances du temps, du lieu et de toute autre idée qui peut les déterminer à telle ou telle existence particulière. Par cette sorte d’abstraction elles sont rendues capables de représenter également plusieurs choses, dont chacune étant en elle-même conforme à cette idée abstraite, est par là de cette espèce de chose, comme on parle. »
Prenant pour point de départ la référence linguistique du mot homme qui se réfère à la notion universelle de l’homme, sans association particulière à une culture, ethnicité ou géographie spécifique, le personnage représente le concept de «l’ancêtre commun». La notion qui existe au sein de tout groupe d’êtres humains, que ce soit une tribu ou un large ensemble de sociétés, qui partagent une même idéologie cosmique. Chaque groupe définit le premier comme un ancêtre commun qui les aurait générés, eux-mêmes, leur culture et leurs manières de faire les choses. Il est aussi bien leur archétype que leur prototype. L’artiste cite un exemple de l’histoire d’un ancêtre commun de la tribu Baruya, tiré de l’ouvrage Au fondement des sociétés humaines de Maurice Godelier : « ... Je suis moi le poteau central de cette maison, vous êtes sous moi, je suis le premier et votre premier nom à tous, maintenant, sera le mien, Baruya. »
Or le personnage dans la série Le premier est la représentation théorique et généralisée de la notion d’ancêtre commun récurrente dans la plupart des groupes humains. Le personnage apparaît, le bas du corps couvert, en référence au « tabou sexuel », le trait culturel commun qui est à l’origine de l’organisation et de l’ordre social dans de nombreuses sociétés. Les vêtements symbolisent cet aspect commun à la majorité des cultures qui produit « un contrôle sur les corps dans les sociétés et introduit une morale. »
L’autre élément visuel, le tronc d’arbre, incarne les notions de l’espace-temps : «le territoire» et «la mesure du temps». Cet arbre millénaire représente une manifestation matérielle du temps. Il fonctionne comme une barre métaphorique d’une fraction temporelle. Son emplacement dans le sol invisible (le blanc du papier) désigne la notion abstraite de territoire.
« ... On revendique en priorité pour soi l’appropriation d’une portion de la nature. Autrement dit, un groupe territorial devient une ‘société’ lorsqu’un certain nombre de groupes et d’individus revendiquent de se reproduire ensemble sur ce même territoire... »
Le tronc est une sorte de témoin du cours de l’évolution du premier. Les plantes peuplèrent la surface de la terre primordiale, servant comme un berceau pour l’humanité en hébergeant les premiers êtres humains et en étant témoins de la formation des structures élémentaires de leurs sociétés. Vu de profil, le tronc rappelle le diagramme du Big Bang qui illustre la dilution de l’univers dans l’axe spatio-temporel. Ainsi, le déplacement d’une surface imaginaire le long de l’axe du tronc correspond à différents moments et étapes de l’évolution de l’individu.
La seconde image de la série, Réarrangement , représente de façon symbolique la révolution agricole et sa conséquence : l’apparition de la culture. Avec la libération du temps résultant du développement de l’agriculture et de l’amélioration de la productivité, les activités esthétiques émergent. Toutes les facultés mentales sont engagées dans l’activité culturelle.4 La culture qui est le résultat de nos procédures mentales engageant le langage, la mémoire, la raison et l’imagination, aura pour conséquence la réorganisation de l’environnement : la nature. Désormais, la sélection culturelle s’ajoute à la sélection naturelle pour permettre, par le biais du langage, la transmission d’idées et de pratiques. Le dattier est l’une des plantes pour lesquelles l’homme participe à la pollinisation afin d’assurer un processus qui dépend du vent. Par l’acte symbolique de séparer les dattes de leur bouquet, le premier planifie et modifie la trajectoire aléatoire que suivrait une datte sans l’intervention humaine. Ce geste aura aussi la conséquence d’une éthique pour le sol et la répartition de ce dernier parmi les êtres humains. La culture de la terre ordonne la reproduction et la sexualité végétales, qui évoquent la manière qu’ont les humains d’organiser leurs sociétés selon leurs relations sexuelles et leurs liens de parenté.
« Si la nature abandonne l’alliance au hasard et à l’arbitraire, il est impossible à la culture de ne pas introduire un ordre, de quelque nature qu’il soit, là où il n’en existe pas. Le rôle primordial de la culture est d’assurer l’existence du groupe comme groupe, et donc de substituer dans ce domaine comme tous les autres, l’organisation au hasard. »
Dans cette image, le profil du visage du premier se devine, avec l’accent mis sur son regard, qui révèle son analyse visuelle, la source première de connaissance. Le tronc d’arbre est photographié à différentes périodes de l’année, toujours du même point de vue. De légères fluctuations de la lumière sont visibles dans chaque image. Ce choix reflète l’immobilité relative des plantes par comparaison avec la mobilité humaine et animale.