Almine Rech a le plaisir de présenter « Asterismos », la première exposition personnelle du sculpteur Artur Lescher à la galerie de Paris.
En près de quarante ans de pratique, Artur Lescher a su imposer une œuvre identifiable par l’exigence de ses formes géométriques et les dialogues d’une rare précision qu’il construit entre ses sculptures et l’espace qui les accueille. L’astérisme, titre de l’exposition, est un motif ou une figure remarquable formée par un ensemble d'étoiles et visibles depuis la Terre. Ces figures géométriques ne sont pas, à la différence des constellations, des objets reconnus par la science, et ne sont pas nécessairement définis. Les corps célestes concernés sont réunis arbitrairement au bénéfice de l'interprétation et des narrations qui surent faire par ailleurs rêver depuis l’Antiquité, Callisto devenue la grande Ourse étant la plus célèbre d’entre eux. Leur existence ne prend sens que dans la capacité des observateurs à créer des histoires, à contempler et à rêver.
Cette prise de distance avec la science pourrait d’abord surprendre, à l’observation des œuvres si parfaitement ciselées et équilibrées d'Artur Lescher. L’œil est si puissamment accompagné dans la perception des volumes, des lignes, et de leur parfaite intégration dans l'espace qu'il est inimaginable que leur conception ne procède pas d’une multitude de calculs savants et d'une ingénierie millimétrée. En réalité, les figures auxquelles sont souvent attribuées des noms à résonance cosmique, sont le fruit d'une exigence implacable de l'artiste pour une perfection des rapports de formes, intrinsèque à l'œuvre, mais aussi dans leur rapport aux proportions de l'espace dans lequel elles sont présentées. Toutes ces œuvres, aux formes sans cesse renouvelées, sont disposées dans la galerie tels les points de repère d’un cosmologue qui tracerait une carte du ciel.
L’organisation des œuvres dans les trois salles compose une constellation interprétée par l’artiste invitant le spectateur à une forme de voyage astral. Les astres dialoguent, se repoussent et s'attirent. Ce référentiel et le procédé de suspension ne manqueront pas de rappeler au public le célèbre pendule de Foucault visible au Panthéon. L’origine expérimentale du procédé destiné à prouver l’oscillation de la terre sans aucune observation extérieure a ceci en commun avec Sextante, Alnilan ou même Cardenal, à savoir cette même capacité à exprimer des forces qui nous dépassent. Les œuvres de Lescher sont d’autant plus fascinantes que leur extrême précision et exécution formelle ainsi que leur relation à l'architecture traduisent aussi, en dehors de leur géométrie, l'extrême relativité du temps et de l'espace...
Cette dialectique des formes a été remarquée dans le travail d'Artur Lescher dès 1987 lors de la 19ème biennale de São Paulo avec sa remarquable installation Aerolitos, formée par deux volumes polygonaux métallisés en suspension, accompagnant et défiant l'architecture moderniste d'Oscar Niemeyer. Artur Lescher est devenu depuis l’un des artistes post-minimalistes le plus reconnu de sa génération et son travail a pu être découvert en 2017 au Palais d’Iéna à Paris où les œuvres en suspension dialoguaient et se mesuraient avec les colonnes de béton de la salle hypostyle. Comme l’illustrent certaines œuvres telles qu' Infinito triple, ainsi que la constante inventivité du sculpteur, Lescher n’extrait pas ses formes d'un répertoire mathématique défini, mais d’une conception de l’espace singulière et empreinte de poésie. Il redonne à la perception et à l’empirisme une valeur essentielle, celle de justifier les dimensions et les échelles en prenant le simple regard comme étalon. Une réalité mobile, changeante, comme le pendule oscillant sous l’influence de fluctuations magnétiques, aussi réelles et insaisissables que le mouvement des astres et les interactions gravitationnelles.
L’astérisme, dépouillé de toute objectivité scientifique, devient le pouvoir partagé par toutes les civilisations humaines et de tous temps, de se projeter mentalement et de dessiner dans les étoiles, afin de penser la place de l’homme dans l’univers. Les œuvres d'Artur Lescher sont souvent décrites par les historiens de l’art brésiliens tels qu’Aracy Amaral comme une “poétique de l’espace”. Cette expression traduit bien l’accomplissement d’une forme de discours d’un art qui révèle au spectateur la puissance de sa propre imagination.