Almine Rech Paris a le plaisir de présenter Look back, and smile on perils past, la deuxième exposition personnelle de Jameson Green à la galerie, du 23 novembre au 21 décembre 2024.

Pour Jameson Green, le monde entier est un théâtre.

Originaire de New York, où il sort diplômé du Hunter College, Jameson Green s’intéresse très tôt à la relation entre le moi privé et le moi tel qu’il est façonné par ses conflits avec le corps, la communauté, et les images qui nous renvoient ces constructions. Dans Look back, and smile on perils past, exposition solo à la galerie Almine Rech Paris, le personnel entre en confrontation parfois violente avec le social et l’historique dans des drames joués à la surface de la toile par ses personnages énigmatiques.

L’approche de Green à la peinture est profondément ancrée dans l’histoire de l’art. Lorsqu’il se lance dans une composition, il puise abondamment dans l’œuvre de ses artistes de prédilection, toutes époques confondues. On notera les parallèles stylistiques et compositionnels avec le travail de Picasso, Goya, Dana Schutz ou même George Baselitz, tant ses inspirations sont innombrables. À travers une pratique qui rappelle les samples de la musique hip-hop, Green recycle ces icônes historiques, les métamorphose et les replace dans un nouveau contexte. Les canons de l’art résonnent dans toute son œuvre, comme pour affirmer que son propre travail ne pourrait exister sans ces interactions avec le passé remixées pour les conditions du présent.

Prenez par exemple le tableau intitulé Moral currency. Sa composition démesurée partage de nombreux points communs avec le célèbre Guernica de Picasso : les dimensions de la toile, les interactions entre l’homme et l’animal, le mélange dissonant entre un intérieur domestique et le chaos qui se déchaîne dehors, tout près. Et comme chez Picasso, les personnages de la scène sont tendus vers le regardeur, quasiment comme des comédiens face à un public. La relation disjointe entre la figure et le fond renforce cette sensation de trouble, de confusion, tant il est difficile de savoir exactement où les corps - et les interactions qui les relient - commencent et finissent.

Les visages caricaturaux des personnages de cette composition sont rendus dans des styles divers, presque comme si chacun était un comédien masqué. Il est impossible de situer précisément l’époque et le lieu où les personnages évoluent : l’histoire se replie sur elle-même, le regardeur contemporain est forcé à faire face aux ‘périls du passé’. L’accent est mis à la fois sur ces personnages en tant qu’acteurs individualisés et sur les scènes qui les rassemblent. Ils se définissent d’eux-mêmes, mais sont aussi inextricablement liés à la composition qu’ils partagent ; ils sont transformés par ce qui se passe plus largement autour.

L’effondrement de l’individuel et du social, du personnel et du politique, est poussé encore plus loin dans les portraits d’individus que peint Green. Même s’ils sont seuls dans la composition, son langage symbolique rend puissamment le conflit entre le personnel et le politique. L’homme énigmatique de The unconquerable soul, par exemple, est une représentation du père de l’artiste. Ce portrait ne reflète pourtant pas les détails intimes du visage de son père : c’est plutôt une représentation pathologique, sa veste entrouverte laissant apparaitre les poches intraveineuses qui ont remplacé ses poumons. Malgré l’incursion de la maladie (et de son pendant pharmaceutique) dans le corps de cet homme, il continue d’avancer, il refuse de laisser le choc entre maladie et corps lui dicter la marche à suivre.

Tous les personnages de Green ne sont pas aussi personnels, bien au contraire : la plupart de ses figures sont composites, elles représentent des types plutôt que des individus définis. Et pourtant, comme dans le portrait du père de l’artiste, tous les personnages sont pris entre le personnel et les interventions du social et du politique. Leurs visages exagérés, semblables à des masques, les éloignent du littéral – mais en même temps, ils incitent le regardeur à résoudre l’énigme qu’ils présentent.

Pour énigmatiques qu’ils soient, les acteurs masqués de Jameson Green permettent quand même de créer des liens. En plongeant dans l’univers créé par chacun des tableaux, en s’efforçant de décrypter le langage que chacun recèle, l’artiste nous invite à réévaluer notre propre condition à travers celle d’autres personnes, d’autres histoires, d’autres époques. Dans nos sociétés de plus en plus divisées, la pratique consistant à investir chaque tableau de nos propres points de vue pour chercher à comprendre ce qui pourrait autrement nous échapper nous offre une occasion rare de mieux nous comprendre les uns les autres. Look back, and smile on perils past nous met au défi de faire face à notre propre histoire, à nos propres préjugés, et de sourire en ayant conscience que nous continuons à aller de l’avant.

(Texte de Audrey Gee)