À l’heure où le monde de l’art ne parle plus d’exposition mais de « show » il m’a semblé normal de construire mon exposition comme un show. Un show n’est pas seulement une suite de chansons accompagnées par un simple piano, mais un spectacle dont le dispositif sophistiqué est destiné à provoquer étonnement et émotion chez le spectateur.
Ici, les chansons sont remplacées par des photographies. La galerie devient la salle de spectacle et les murs l’espace scénique.
Loin d’être la réalité un show valorise l’artifice au profit de l’émotion. « Comme un désir d’éternité, le show » agira de même sur le visiteur.
L’exposition présentera Oh oui ! une vidéo et une série de photographies intitulée Comme un désir d’éternité qui prend sa source dans deux oeuvres de jeunesse : un autoportrait réalisé en 1976, dans lequel je reprenais les codes esthétiques de l’avant-garde théâtrale des années 70 qui utilisait le maquillage sans retenue ; et mon film Forget Me Not réalisé en 1979. Cependant l’élément initiateur de ce projet est un portrait de moi réalisé en 1997 par l’artiste Pascal Le Coq sur lequel, par la magie de la retouche numérique, on me voit avec une perruque.
Comme un désir d’éternité est imprégné de l’image des stars hollywoodiennes de la grande époque du cinéma américain au crépuscule de leur vie. Quand, en 1950, Gloria Swanson tourne Boulevard du crépuscule (Sunset Boulevard) de Billy Wilder, elle n’était plus apparue sur les écrans depuis 1934 ; quand, en 1970, Mae West tourne dans Myra Breckinridge de Michael Same, cela faisait vingt-sept ans qu’elle avait quitté les studios de cinéma. Il faudra attendre huit ans pour la revoir dans son dernier opus, Sextette de Ken Hugues (1978) dans lequel, à 85 ans, elle épouse Timothy Dalton, le futur James Bond, de 53 ans son cadet. Quand, en 1978, Marlène Dietrich fait sa dernière apparition au cinéma dans Just a Gigolo (Schöner Gigolo, armer Gigolo) de David Hemmings, elle a 77 ans et vit depuis quatre ans recluse dans son appartement du numéro 12 de l’avenue Montaigne à Paris.
Ce qui me touche dans l’interprétation de ces comédiennes c’est qu’au moment où elles ont interprété ces rôles elles savaient que, pour elles, les jeux étaient faits. Pourtant elle voulaient faire durer encore un peu l’illusion que rien n’avait changé. Mon intérêt pour les personnages de dramaturges américains tels que Tennessee Williams, William Inge ou Edward Albee et la technique de l’Actors Studio m’ont aidé à incarner mes différents personnages.
J’avais conçu mon film Forget Me Not comme un film publicitaire sur moi. Malgré l’inquiétude du titre je le considère aujourd’hui comme un flm heureux parce qu’il est lié à ma jeunesse. Il y a moins de bonheur dans Comme un désir d’éternité qui laisse apparaître la sidération provoquée par la prise de conscience que le temps a passé et que jamais plus rien ne sera comme avant.
Lorsque les prises de vues ont été terminées je me suis souvenu d’un photomaton que j’avais fait alors que j’étais à peine teenager. Au moment de choisir la pose j’avais imité celle des vedettes féminines de cinéma qui, déjà, me fascinaient. Comme on met un point sur un « i » ou une dernière touche à la création d’un parfum, j’ai décidé d’inclure dans « Comme un désir d’éternité, le show », un agrandissement de ce photomaton involontairement inaugural.
Ce travail n’aurait pas été possible sans la précieuse complicité d’Agnès Tassel, cheffe maquilleuse pour le cinéma. Les prises de vues ont été réalisées au flash avec une pellicule Fuji. Les photographies n’ont fait l’objet d’aucune retouche. Elles ont été tirées sur du papier Cibachrome de chez Ilford.
La jeunesse du danseur de Oh oui ! accentuera le drame représenté sur les photographies. L’émotion provoquée par cette vidéo est le résultat de la combinaison de plusieurs éléments dont la voix de la femme qui, hors champ, regarde le danseur et exprime tout haut ce qu’elle pense tout bas.
Sait-elle que cet homme jeune qui danse devant ses yeux, elle ne pourra jamais « l’avoir » pour au moins deux raisons : d’abord parce qu’il est sur une scène de théâtre et ensuite à cause de leur différence d’âge. Se rend-elle compte de cela ? Peut-être en prendra-t-elle conscience lorsque le rideau de scène se sera refermé sur lui pour toujours. Alors les jeux seront faits, comme ils le sont pour les personnages représentés dans la grande salle de la galerie où l’accrochage mettra en majesté le portrait le plus bouleversant et désespéré de l’exposition, je veux dire la photographie au chapeau de paille qui est un gouffre de sidération, sidération sublimée par la musique originale de Fabrice Ravel-Chapuis composée spécialement pour le show.