La plus belle salle du palais rococo dans lequel est installé le musée depuis 1922 est la salle à manger du rez-de-chaussée. On peut y admirer un chef-d'œuvre absolu de la collection, un impressionnant lustre en bois sculpté, conçu et exécuté en 1770 par le sculpteur gantois Jan Frans Allaert (1703-1779).
On a l’impression que le lustre a toujours été suspendu à l'Hotel De Coninck, mais ce n'est pas le cas. À ce jour, nous n’avons connaissance d’aucun document du 18e siècle attestant qu'Allaert ait conçu le lustre pour cette pièce et ait été chargé de l'aménagement de la salle à manger. La première source décrivant la pièce et l'attribuant intégralement à Allaert ne date que de 1868, soit une centaine d'années après sa création.
Ce que nous savons avec certitude, c'est que le négociant en lin Ferdinand Joan De Coninck (1728-1791) et sa toute nouvelle épouse Terese Scholt se sont installés dans cette imposante demeure en 1762. L'intérieur de la salle à manger avait été achevé un an plus tôt. Les boiseries murales en orme sont placées sous le signe de l'amour dans une atmosphère champêtre détendue. Depuis le plafond, les dieux de l’Olympe peints par le Gantois Pieter Norbert Van Reysschoot (1738-1795) surveillent la scène.
Le lustre semble s'intégrer à merveille dans cette pièce et l'histoire de la vie de Ferdinand De Coninck. D'un point de vue stylistique, il est parfaitement à sa place : le rococo aérien et élégant rayonne aussi bien dans le décor que dans le lustre. De même, la taille du lustre semble adaptée à la pièce.
Le lustre est placé sous le thème des quatre continents, représentés sous la forme d'enfants assis au pied d'un palmier. Depuis la Renaissance italienne, cette allégorie était une représentation courante dans les habitations dont le maître des lieux aimait à montrer qu'il était un homme du monde. La famille de Ferdinand De Coninck commerçait avec les Pays-Bas septentrionaux, l'Espagne et les territoires d'outre-mer. Cette salle à manger lui permettait de faire devant ses invités la démonstration tant de son mariage heureux que de son entreprise prospère.
L'Europe porte un casque de guerrier à plumes avec couronne royale et brandit une épée. À son cou, elle arbore le collier de l'Ordre de la Toison d'Or. L'enfant, qui se tient debout au-dessus d'un canon, est flanqué d'un aigle avec globe terrestre. L'aigle et le collier font sans doute référence à Joseph II, l'empereur du Saint Empire romain germanique. Les Habsbourg d’Autriche régnaient en effet sur les Pays-Bas méridionaux depuis 1713. Ferdinand De Coninck s’affichait-il ici comme un sujet fidèle, dans l'espoir d'une promotion sociale ? En 1782, douze ans après la conception du lustre, il était fait chevalier.
L'Amérique est représentée par un Indien coiffé de plumes et brandissant un arc. Un bateau navigue entre les personnages de l'Europe et de l'Amérique. Les navires marchands étaient associés à l'Amérique. Ferdinand De Coninck devait lui aussi une partie de sa fortune au commerce avec les territoires d'outre-mer. Cependant, étrangement, le bateau est un véritable navire de guerre équipé d'une batterie de canons.
L’Asie est assise sur un chameau et porte un turban. Chameau ? Turban ? C’est la Turquie qui symbolise ici ce continent encore inconnu. L'Afrique est coiffée d’une tête d'éléphant, et flanquée d’un lion. La corne d'abondance fait référence aux marchandises coloniales qui s'écoulent généreusement. Il est cependant étrange qu'Allaert ait rempli la corne d'épis de maïs. Selon le manuel iconographique 'Iconologia' de Cesare Ripa, cette corne devrait en effet contenir des épis de blé.
Le couronnement du lustre est également inexplicable. La couronne du palmier cache un nid d’aiglons. Au-dessus de ce nid, un aigle tient un bébé dragon dans ses serres. L'oiseau de proie symbolise-t-il encore une fois l'empereur Joseph II, qui protégeait ses sujets contre la barbarie des Ottomans ? En 1771, Joseph II rompt son alliance avec cet empire. Un singe est accroché au bas du lustre. Tout comme les 'chinoiseries', les 'singeries' constituaient en effet un motif à la mode, amusant et exotique dans les intérieurs rococo légers.
Qu'il ait été ou non conçu pour l'Hotel De Coninck, ce lustre a connu plusieurs propriétaires. Nous savons que le Gantois Norbert d'Huyvetter l'avait acheté en 1852 lors de la vente aux enchères de la collection d'art de son propre père, Joan Norbert, pour 2 200 francs belges. En 1925, la famille d'Huyvetter avait prêté la pièce au musée, qui l’avait exposée dans la salle à manger pendant un certain temps. En 1961, le lustre était ensuite apparu chez un antiquaire bruxellois. Malgré l'intérêt manifesté à l'étranger, le musée avait alors saisi sa chance de l'acheter. Depuis 1973, on peut de nouveau l’admirer dans la salle à manger.