Peter Halley dit de ses peintures qu’elles sont des images de quelque chose. Plutôt que dans l’histoire canonique—et européenne—de l’abstraction, dont il a livré de féroces critiques dès ses premiers textes du début des années 1980, c’est dans le pop et le minimalisme qu’il a trouvé des modèles, chez Barnett Newman, Frank Stella et Andy Warhol. Dans cette tension entre abstraction et figuration, l’architecture occupe une place importante. Sa pratique de l’abstraction géométrique est, de fait, inséparable d’un regard sur la ville de New York où il a grandi. En 1991, il la décrivait comme une « immense structure quadrillée indifférenciée, aussi abstraite que gigantesque »1, la ville devenant ainsi une matrice à partir de laquelle penser ses œuvres.
Dès les années 1980, le peintre a par ailleurs intégré à son lexique pictural des matériaux et des motifs qui puisent dans l’architecture. Les « cellules », les « prisons » et les « conduits », que l’on trouve dans son travail à partir de 1981, sont ainsi issus d’une réflexion sur la géométrisation de l’espace social, inspirée par les écrits de Michel Foucault, notamment Surveiller et Punir : Halley a opéré, comme il l’expliquait récemment, la « transformation du langage de l’abstraction géométrique en un lexique de prison et de cellules isolées. »2 Quant au Roll-A-tex, un agent de texture épaississant qu’il utilise systématiquement, il sert dans la décoration intérieure pour réaliser des crépis. Les peintures de Peter Halley ont d’ailleurs, comme celles de Stella, une dimension d’objet et s’apparentent à des bas-reliefs.
Le rapport à l’architecture ne se limite pas au format de la toile. Dans les années 1990, Peter Halley élargit sa pratique de la peinture en réalisant des installations. Les peintures sont alors accrochées sur des fonds (le plus souvent des impressions numériques), dont les motifs sont des
dessins et des diagrammes tirés de ses archives ou de ses carnets de croquis. Il collabore également avec des designers comme Alessandro Mendini ou Matali Crasset. À chaque fois, il s’agit de se saisir de l’espace d’exposition tout entier, pour penser la peinture comme une architecture, et avec l’architecture.
Cette nouvelle exposition à la galerie s’inscrit résolument dans cette voie. L’artiste a créé une installation complexe qui investit l’ensemble de la galerie, du premier étage au sous-sol, en passant par les escaliers, les entrées et les couloirs. Elle intègre des peintures, des impressions numériques à l’échelle du mur, et du texte.
Au premier étage, quatre peintures réalisées spécifiquement pour l’exposition sont accrochées sur un fond imprimé, produisant un effet de trompe-l’œil où peintures et impressions dialoguent formellement.
Dans les escaliers, dans l’entrée, et les couloirs,
un ensemble de dessins imprimés vient souligner les particularités architecturales de la galerie, créant des effets de seuil et de passage.
Au sous-sol, enfin, trois peintures d’inspiration néo-plasticiste reprennent des compositions déjà utilisées par l’artiste, dans une version dépouillée des motifs habituels. Le texte écrit par Jill Gasparina, et composé lui aussi en blocs autonomes agencés librement au mur, revient sur des questions développées par l’artiste depuis les années 1980, dans sa peinture comme dans ses textes : la planification urbaine, l’essor des technologies numériques, les espaces synthétiques des jeux vidéos et des rendus d’architecture, les liens entre les traditions européennes et américaines de l’abstraction, et entre modernisme
et postmodernisme. L’espace est ainsi transformé en une installation immersive.
S’il a critiqué sévèrement les impasses formalistes du modernisme, le travail de Peter Halley continue ainsi de relever d’une peinture de la vie moderne, dans ses formes architecturales ou technologiques.
Peter Halley est né en 1953 à New York où il vit et travaille.
Il a notamment exposé au CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux (1991), au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid (1992), au Stedelijk Museum, Amsterdam (1992), au Des Moines Art Center (1992), au Dallas Museum of Art (1995), au Museum of Modern Art, New York (1997), au Kitakyushu Municipal Museum of Art (1998), au Museum Folkwang, Essen (1998), au Butler Institute of American Art (1999), au Disjecta interdisciplinary Art Center, Portland (2012), au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole (2014) ainsi qu’au Schirn Kunsthalle, Frankfurt (2016).
Depuis le milieu des années 1990, il produit également des installations, des œuvres in situ ou des commandes publiques. On trouve des exemples de ces réalisations à la State University of New York, Buffalo (1998), à la Bibliothèque Municipale d’Usera, en Espagne (2002), dans la collection de la Banco Suisso d’Italia, à Turin (2003), à l’aéroport international de Dallas/ Fort Worth au Texas (2005) ou encore au Palazzo Bembo, à Venise (2011). En 2008, il a réalisé une installation permanente à la Gallatin School, à la New York University.