Dans la pratique de David Renggli, les notions d'équilibre et de balance, comprises dans leurs acceptions physiques, visuelles autant que conceptuelles, sont des principes structurant autant la production et que la réception. Les formes partent souvent d'une juxtaposition entre des univers référentiels contrastés, voir incompatibles en terme de valeur, principalement les références aux expressions canoniques de l'art moderne et les lieux communs du design global de la marchandise culturelle. Chaque œuvre se présente ainsi depuis des éléments épars et contradictoires tout en étant soumise à un principe d'uniformisation visuelle. La citation s'y exprime sous une forme altérée, parfois équivoque parce que trop affirmative, mais le plus souvent réduite à une allusion subliminale. Par ce jeu, l'oeuvre devient un support à double ou multiples entrées jouant sur des phénomènes de vraisemblance et de faux-semblant, se confirmant et s'infirmant simultanément. Par la conjonction plausible des contradictions, s'instaure un principe dedouble bind où chaque œuvre parvient à paramétrer sa propre autonomie, entre auto-référentialité et tautologie ironique.
Sur le même principe qui gouverne la production des formes, l'exposition est travaillée un cadre de juxtaposition entre des propositions contradictoires soumis à un principe d'équilibrage visuel. Renggli y télescope les lieuxcommuns de l'exposition de design d'intérieur, les traditions institutionnalisées de l'exposition de peinture et de sculpture, associant ces codes pour vectoriser un cadre plausible de réception. Les expositions opèrent ainsi comme desimages d'exposition. A l'intérieur de cette «chambre d'esthétique» conférant aux œuvres une autorité naturelle et paramétrant certains réflexes de réception, se glisse toujours une part maîtrisée d'accident et de contre-sens.
David Renggli est né en 1974. Il vit et travaille à Zurich. Il a notamment réalisé des expositions personnelles au Kunstmuseum Bern ; Kunsthalle Sankt Gallen ; Museum Im Bellpark, Kriens; Museum Kunstraum, Baden... Il a également exposé au Haus fur Kunst, Altdorf; Rietberg Museum, Zurich; Migrosmuseum für Gegenwartskunst, Zurich; Klöntal Triennale, Kunshtaus, Klöntal; Kunsthaus Zurich ; Kunstmuseum ; Institut d'art contemporain de Villeurbanne; Städtische Galerie Ravensburg; TATE Britain, Londres; Fondation pour l'art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon, Annecy; Museum Bellerive, Zurich; Centre Georges Pompidou, Paris.
Différentes séries sont présentes dans les expositions de David Renggli. Ces séries s'articulent par leurs principes propres, constituant le vocabulaire des expositions de l'artiste. Ce principe de juxtapositions d'oeuvre dans l'exposition, re-joue le même principe d'équilibre que l'on retrouve dans ses œuvres.
Le développement des oeuvres à travers le principe de la série renforce la duplicité latente des formes, qui se donnent ainsi comme des occurrences uniques intégrées à une économie de la réplication. Si la sérialité participe troubler l'indépendance des formes en les rapportant à un principe générique, elle parvient aussi créer une structure interne qui donne à chaque série une autonomie esthétique d'ensemble. L' «abécédaire» suivant permet de donner quelques éléments constitutifs de ces séries développées depuis une dizaine d'années, présentées à différents stades de leur évolution et selon des combinaisons renouvelées.
Lescollages sont composés à partir de juxtapositions de fragments d'images issues de magazines people et érotiques, de livres d'art, d'annuaires, ou encore de catalogues de maison de vente. Découpés, assemblés, et parfoissur-peints, ils sont exécutés en quelques minutes et à flux tendu. L'assemblage joue de la tension entre le principe d'équivalence généré par la commune appartenance des sources imprimées à une économie de la médiatisation, et la divergence de statuts culturels des représentations dont elles sont le support. Se distribuant graduellement entre différents degrés de lisibilité et d'oblitération de la source, le principe de balance visuelle donne au collage une unité esthétique autonome où la citation et les rapports sémantiques se dissolvent. Exposés en série, leur prolifération redouble la désintégration du contenu source pour créer une structure autoréférentielle créant entre les collages des effets de similitudes et de correspondances.
Les Glass Paintingssont des peintures retournées réalisées à partir de couleurs transparentes appliquées sur une surface en verre par de larges gestes de balayage. En raison de l'extrême fluidité de la peinture appliquée sur la surface en verre, la forme doit être exécutée très rapidement, ce qui réduit la part de contrôle et augmente la part «expressive» de l'arbitraire. L'impact visuel immédiat, quasi publicitaire, et leur spontanéité franche traduit une émotion exagérée, jouant sur la tension entre affirmation et falsification. Si elles sont dans le processus de «vraies» peintures abstraites, lesGlass Paintings sont aussi des «images» de peintures abstraites, au double sens où elles évoquent le type de représentations schématiques qu'on peut faire de la peinture gestuelle dans l'imagerie populaire et les magazines de décoration, et que leur surface en verre retournée les associe à des écrans. Leur présentation en série accentue cette confusion, inscrivant le caractère unique d'un geste «pur» à une économie de la réplication et du transfert, où unicité et répétition coexistent. L'hermétisme de la peinture abstraite est doublement travaillée ici comme une convention visuelle et un moyen d'interroger la permanence de l'autorité naturelle du médium.
La série desBody Langage sont réalisées à partir d'assemblages de tubes métalliques recouverts d'une couche de peinture laquée. Selon les variations elles peuvent être érigées à la verticale ou disposées à l'horizontale sur des socles en béton. Ces sculptures associent la référence aux principes de codification des postures de la sculpture antique et classique à un répertoire d'attitudes corporelles caractéristiques prélevées dans des magazines people.
Leur formes schématiques et elliptiques neutralisent l'expressivité du langage corporel pour investir la normativité des typologies de représentation contemporaines du corps. Le fini industriel de leur surface semblable à une carrosserie, et leur stylistique réduite à l'efficience visuelle d'un signe auquel il manquerait toutefois une partie de l'information, nouent quant à eux un dialogue équivoque avec les conventions de la sculpture moderne.
LesFloorplan Desire Paintings, mélangeant peinture à l'acrylique et sérigraphie, jouent sur l'agrandissement illusionniste de la trame du support pictural. Composées à partir d'une superposition entre une grille en toile de jute et un plan en bois, l'enchevêtrement entre les plans par des effets de trompe l'oeil et d'illusion d'optique crée plusieurs niveaux d'engagements perceptuels. Le registres des formes peintes et la nature de leur articulation spatiale amalgament la référence à certains archétypes picturaux et décoratifs modernistes comme les papiers découpés cubistes, et des techniques de projections spatiales évocatrices des principes du design radical, tout en les portant aux limites de l'arbitraire. La matérialité rugueuse, impure, de la grille, rappelant le tissage grossier d'un tapis, crée une tension avec son statut iconique d'emblème de la pureté optique de la peinture.
LesDaybeds, série amorcée en 2014, associent la référence au mobilier moderniste, à la sculpture publique, et à l'esthétique du jardin zen. Composées d'une structure métallique peinte, d'une assise en béton lisse sur la surface de laquelle des cailloux sont insérés, ces sculptures-bancs jouent de l'association contradictoire entre la matière brute, naturellement travaillée, et les valeurs intellectuelles du brutalisme moderniste. Pensées comme un espace de contemplation ou de conversation, les sculptures obligent l'usager à trouver une posture corporelle adaptée, expérimentant alors une position d'inconfort, physique et mental. En confondant les symboliques contradictoires associées à la pierre (romantisme, primitivisme, modernisme, mobilier urbain) les Daybeds font co-exister le trivial et le l'intellectuel, la maladresse et la perfection.
LesGood vibe gongssont une série d'oeuvres murales monochromes réalisées à partir de plaques d'acier arrondies martelées. Leur surface piquée évocatrice d'un épiderme ou d'une carapace est mise en tension avec l'effet égalisateur et homogénéisant de la surface colorée qui crée une incertitude sur la nature du matériau. Ces formes amalgament des références contradictoires à l'idéal de réduction et du degré «zéro» de la peinture monochrome avec une stylistique primitiviste «amateure». Ne pouvant être recontextualisées dans aucun univers référentiel stable, elles apparaissent réduites à l'arbitraire d'un signe visuel détaché de toute ancrage, livrées à une pure contemplation «désintéressée»